Début mars, un sondage a révélé que 46 % des Canadiens souhaitaient que leur pays rejoigne l’Union européenne. Evidemment, cette éventualité ne se produira pas, ne serait-ce que parce que les traités européens font de la géographique un élément central de la demande d’adhésion à l’Union. Ceci étant dit, l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche et son insistance à détruire – du multilatéralisme au libre-échange, de l’aide au développement à la règle de droit – tous les éléments qui ont fait de son pays une hyperpuissance font, en comparaison, briller l’Europe.
LIRE AUSSI : Francesca Bria : « L’Europe s’automutile en investissant dans la technologie américaine »
Certes, les observateurs avisés et les dirigeants d’entreprises du monde entier connaissent les défauts de notre continent, défauts sanctionnés par une sous-performance économique éclatante par rapport aux Etats-Unis, particulièrement depuis la sortie du Covid. L’Union européenne est une technostructure plus passionnée par la réglementation que par l’innovation, et les pays qui la composent préfèrent généralement la redistribution à la création de richesse. Il n’empêche, le sondage canadien montre que l’Union européenne jouit d’un crédit particulier en ce moment, par effet de comparaison.
LIRE AUSSI : Pascal Lamy sur la guerre commerciale : « Le registre de Donald Trump est d’ordre mafieux »Les comiques débunkent Trump
Le principal problème pour l’image et la crédibilité économique des Etats-Unis, c’est que la politique trumpiste est néfaste en elle-même. Elle repose sur des chiffres inventés et des explications fausses. Des chiffres inventés car le tableau brandi par Trump dans le Rose Garden de la Maison-Blanche n’avait pas grand-chose à voir avec ce dont le président américain a parlé. Trump a présenté les chiffres comme correspondant aux droits de douane appliqués par chaque pays aux exportations américaines. Ils étaient, en fait, le résultat du quotient des déficits bilatéraux aux exportations des Etats-Unis, ratio qui n’a qu’un lointain rapport avec les droits de douane.
Comme l’a dit John Oliver dans son talk-show Last Week Tonight, c’est comme si on voulait calculer la surface de son appartement en divisant son numéro de téléphone par l’âge de son chien… En ce moment, ce sont les comiques qui débunkent le mieux Trump : ils sont les plus susceptibles de comprendre les clowns.
LIRE AUSSI : Guerre commerciale : les méthodes farfelues de Donald Trump sèment la confusion
Des explications fausses, ensuite, car le déficit commercial américain n’est pas lié « à la méchanceté des Allemands » ou aux « tricheries des Européens » mais au fait que les Etats-Unis investissent davantage qu’ils n’épargnent. Le protectionnisme est une politique perdant-perdant. Or, dans l’état actuel des droits de douane annoncés par Trump, les Etats-Unis deviennent le pays le plus protectionniste au monde. A 10 %, les droits de douane appliqués à l’Union européenne sont trois fois supérieurs à ceux pratiqués avant Trump. Comment avoir confiance dans un pays mené par des personnes capables de conduire une telle politique ?
Le deuxième problème pour la crédibilité américaine, c’est le caractère incroyablement chaotique de la mise en œuvre de cette mesure. On annonce des droits de douane, on en suspend une partie, on joue l’escalade avec la Chine, on exempte certains produits, on évoque des deals sans jamais expliquer de quoi il s’agit… Illégale sur le plan du droit international comme du droit américain, cette politique ajoute de l’incertitude et de la volatilité à l’absurdité. Cela fait beaucoup.
LIRE AUSSI : Comment l’Europe doit riposter à Donald Trump : les préconisations du prix Nobel d’économie Jean TiroleL’Europe, garante de la règle de droit
A côté, la bureaucratie européenne, pourtant pénible, semble une oasis de stabilité et de respect du droit. Bafouée par les Etats-Unis, c’est bien la règle de droit qui permet, avec la liberté d’entreprendre, le développement économique et le bien-être social. L’Europe en est aujourd’hui la garante.
Il y a plus surprenant. Face à l’escalade trumpienne, l’Union européenne a apporté la meilleure des réponses, celle qui protège le mieux les intérêts des pays attaqués. L’UE nous protège car elle nous unit. Le commerce international est une prérogative de la Commission et non des Etats. Notre continent ne peut donc pas se diviser face au géant américain et aucun pays, Hongrie ou Italie, n’est à même de faire cavalier seul.
L’UE nous protège aussi car sa réponse est la bonne sur le fond. Les dirigeants européens ont compris que répondre à des droits de douane par des droits de douane revenait à taxer leurs propres consommateurs et entreprises. Ursula von der Leyen a astucieusement proposé à Trump un libre-échange total – zéros droits de douane de part et d’autre – sur les produits industriels. Offre évidemment refusée par le président américain, ce qui démontre que, contrairement à ses dires, il ne recherche aucune réciprocité. Face à une politique stupide et dangereuse, l’Europe répond pour l’instant avec intelligence et mesure.
Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères
.