Au moment de se retourner sur les premiers mois de l’année, force est de constater que la saison 2025 nous a confrontés à un vocabulaire médical dont on se serait bien passés. Plusieurs gros accidents ont émaillé cette moitié d’année, dès les premiers essais d’avant-saison, avec au cœur de ces événements des pilotes durement malmenés.

Le champion du monde en titre Jorge Martín en a payé le prix fort, victime de plusieurs gros accidents, notamment au guidon de sa MotoGP. Dès son premier jour de piste de l’année, l’Espagnol a subi un impressionnant choc à la tête, ainsi que des fractures à la main et au pied. Trois semaines plus tard, une chute en supermotard lui valait une fracture complexe du radius, plusieurs fractures du scaphoïde et une autre au talon.

Le pire était à venir, car un mois et demi plus tard, c’est avec plus de dix côtes fracturées et un hémopneumothorax qu’il était hospitalisé, percuté après être tombé devant un autre pilote lors du Grand Prix qui marquait timidement son retour. Il allait lui falloir trois mois pour remonter à nouveau sur une moto et reprendre la compétition.

Si sa propre situation a, sur le moment, été moins médiatisée, Luca Marini a également subi un choc colossal cette année, dont on a pris la mesure progressivement lorsqu’il est revenu en Europe. Le pilote italien participait à des essais d’endurance pour Honda, sur un circuit de Suzuka qui ne figure plus au calendrier MotoGP, lorsqu’il a subi un violent accident. Bilan : luxation de la hanche, lésions ligamentaires au genou, pneumothorax, fracture de la clavicule et, ce qui allait le gêner le plus par la suite, fracture du sternum.

Ni vous ni moi n’aurions repris la moindre activité physique pendant des mois après un tel bilan. Marini, lui, il était de retour sur une MotoGP au bout de cinq semaines et il relançait son championnat une semaine plus tard. Il ne fait aucun doute que cela a été le plus gros accident de sa vie, pourtant, le pilote italien n’avait pas perdu son sourire lorsqu’il a retrouvé le paddock, et c’est très posément qu’il a livré le récit de ce qui lui est arrivé, laissant ses interlocuteurs bouche-bée.

« Ça a clairement été un accident très grave mais qui m’a aussi fait comprendre plusieurs choses. J’en retire des expériences positives malgré l’aspect négatif de l’accident. J’aime prendre le côté positif des choses », expliquait-il à son retour, en Allemagne, n’ayant rien perdu de son pragmatisme.

Luca Marini, Honda HRC

Luca Marini

Photo de: Mirco Lazzari GP – Getty Images

« Dernièrement, beaucoup de gens, qui n’ont aucun rapport avec le milieu de la moto, m’ont demandé comment on fait, les pilotes, à remonter en selle. Et je me suis moi-même posé la question parce que c’est quelque chose qui me parait très naturel, donc c’est difficile à comprendre », réfléchissait alors Marini.

« C’est aussi un travail mental à faire avec soi-même mais on est tellement habitués à le faire depuis toujours, depuis qu’on est enfant, que pour nous c’est normal. J’ai conscience que c’est un sport dans lequel on risque notre vie chaque fois qu’on prend la piste, mais on le fait toujours avec une grande passion, avec beaucoup d’envie, parce que ça transmet plus d’émotions que n’importe quelle autre chose qu’on peut faire au monde. »

J’ai eu un flash et je me suis dit : ‘Mais pourquoi je hurle ?’. Donc j’ai essayé de me retenir, mais j’avais tellement mal que j’ai dû me remettre à hurler.

Lorsque le commun des mortels l’interroge sur le naturel avec lequel un pilote remonte à moto après un tel choc, pour comprendre si c’est quelque chose qu’il a au fond de lui ou bien si cela s’apprend, Luca Marini peine à répondre : « Je ne sais pas. Il faudrait que tous les pilotes qui ont eu un accident aussi grave se réunissent et qu’on essaye de transmettre son expérience aux autres, et alors peut-être qu’on arriverait à comprendre s’il y a des points communs ou pas. En ce qui me concerne, ça a été quelque chose d’assez normal, d’assez naturel. »

C’est ce qui fait qu’il n’a « pas du tout » eu peur lorsqu’il s’est relancé pour la première fois à grande vitesse. « J’ai souvent pensé à cette peur, à cette émotion, mais en réalité je ne l’ai jamais eue. Si je repense à la chute, plus que la peur, c’est la douleur qui me revient à l’esprit », réfléchit-il en effet.

Luca Marini, Honda HRC

Luca Marini

Photo de: Honda Racing

Et on comprend aisément pourquoi la douleur a pris le pas sur la peur lorsque l’on entend le récit qu’il livre de ce qu’il a vécu à Suzuka. « Cette douleur a été impressionnante, incroyable. Sur le moment, quand j’étais là avec la hanche dehors et tout cabossé, j’essayais d’arrêter de hurler. Parce que j’ai eu un flash et je me suis dit : ‘Mais pourquoi je hurle ? Je vais essayer d’arrêter’. Donc j’ai essayé de me retenir, mais j’avais tellement mal que j’ai dû me remettre à hurler. »

« J’ai passé plus d’une heure et demie à me plaindre comme ça et à hurler sans cesse, parce que c’était vraiment impossible à supporter. Ensuite, une fois qu’on m’a donné des antidouleurs, et qu’on m’a endormi pour me remettre la jambe en place, ça allait. »

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« On n’est jamais préparé à passer près de la mort »

Si Luca Marini a relaté ses mésaventures en en souriant, montrant qu’il avait digéré les faits pour les observer avec suffisamment de détachement et ne pas, en apparence du moins, traîner le poids de ces douloureux souvenirs, Jorge Martín a de toute évidence eu un peu plus de mal à gérer ses émotions.

Lorsqu’il faisait parler de lui pour sa volonté à se libérer de son contrat avec Aprilia, son ami Aleix Espargaró nous avait avertis : « Il a beaucoup souffert à l’hôpital. Personne dans cette pièce, et pas même moi, ne peut comprendre à quel point il a souffert pendant les deux ou trois premiers mois de l’année, à cause des blessures, de la frustration. Quand on est dans cette position, on ne sait jamais ce qu’on va faire, ce que notre tête va décider. Il faut respecter ça. »

Et c’est précisément en levant un voile pudique sur cette souffrance, autant physique que morale, que Martín a tenté d’expliquer à son retour tout ce qu’il a pu vivre durant son absence. « Ça a été six ou sept mois très difficiles pour moi. J’ai beaucoup souffert, j’ai eu beaucoup de blessures », décrivait-il. « Je pense que personne ne peut comprendre ce qui vous passe par la tête quand vous êtes à l’hôpital avec 12 côtes cassées et que vous n’arrivez pas à dormir pendant une semaine. »

« Je crois qu’on n’est jamais préparé à passer près de la mort. Il y a toujours différentes situations dans la vie mais il y a parfois des situations auxquelles on ne s’attend pas, et quand elles arrivent elles sont très dures à accepter. Le Qatar a été l’une de ces situations », expliquait le Madrilène, refusant d’entrer dans les détails mais refoulant ses larmes. « Je me suis retrouvé dans une situation très mauvaise. Je pense que seuls mon père et ma petite amie savent ce qui m’a traversé l’esprit et ce que j’ai ressenti dans mon corps. »

Jorge Martin, Aprilia Racing

Jorge Martín

Photo de: Gold and Goose Photography / LAT Images / via Getty Images

Comme Marini, plus que la peur, c’est la douleur ressentie après l’accident qu’a décrite Martín et les doutes qui l’ont assailli en conséquence, avec un lien direct vers ce qu’il a tenté de faire pour quitter Aprilia. « Quand j’étais à l’hôpital, je ne savais pas si j’allais pouvoir courir à nouveau. J’ai passé quatre jours en soins intensifs et ça a été un moment vraiment dur. Je parlais avec ma compagne, mon père, avec Aleix parfois, et je ne savais pas si j’allais un jour pouvoir remonter sur une MotoGP. Donc à partir de là, j’ai douté de tout : est-ce que j’allais être rapide à nouveau ? Est-ce que j’allais redevenir fort ? Beaucoup de choses. »

Jorge Martín a pourtant déjà souffert, et on ne peut oublier son accident de 2021 qui lui avait déjà fait craindre que sa carrière s’arrête à 23 ans. Pour lui, les deux situations n’ont « rien à voir ». « C’est peut-être dû au fait que j’étais plus jeune, je ne sais pas, mais à l’époque je voulais juste guérir et remonter sur la moto. Maintenant, j’ai tous ces nuages de pensées [qui m’entourent] », a-t-il dépeint.

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Aujourd’hui parmi les pilotes les plus expérimentés du championnat, Marc Márquez est aussi celui qui a certainement le plus souffert physiquement au cours de sa carrière. Tandis qu’il retrouve aujourd’hui les sommets après cinq années chamboulées par sa fracture de l’humérus à Jerez et ses nombreux effets collatéraux, on ne peut oublier les blessures précédentes. Or, en se remémorant notamment celle qui l’a privé du titre 2011 en Moto2 et lui a valu un premier, et long, épisode de diplopie, il fait écho aux propos de Martín en estimant qu’il encaissait mieux les chutes mentalement à cet âge-là.

« Je vais être honnête : à cet âge-là, lorsque ça m’est arrivé, ça ne m’a pas tellement affecté. Bien sûr, c’était sensible ce jour-là, mais ça ne m’a pas affecté dans ma manière de penser, de piloter. Au final, c’est mon job. Évidemment, on n’a jamais envie de répéter cela malgré tout. Mais aujourd’hui, à 32 ans, je pense un peu différemment qu’à 17 ans, l’âge que j’avais à l’époque. À cet âge-là, on n’est pas encore conscient de ce qu’est la vie, honnêtement. »

Plus chamboulé peut-être parce que plus mûr, donc, Jorge Martín dit en tout cas avoir retiré de cette épreuve une force, une plus grande confiance en lui. « J’ai clairement eu du mal quand j’étais à l’hôpital, au Qatar, mais je crois que je me suis parfaitement bien entraîné, que je suis mieux préparé que jamais. Et je crois que je ne savais pas combien de courage je pouvais avoir et que maintenant je le sais. C’est en moi et je vais le garder pour toute ma carrière », affirme-t-il.

« Je vais en tirer des enseignements. Si ça se reproduit – car ça peut se reproduire, je l’accepte, j’accepte le fait qu’on est en MotoGP et qu’on risque notre vie chaque fois qu’on prend la piste -, alors j’essaierai d’être meilleur. »

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