Quelle est la situation de la dermatologie en Bretagne ?
Je suis abasourdie par l’état de la spécialité aujourd’hui. Le 31 juillet, est paru au journal officiel le nombre de postes d’interne pour la spécialité dermatologie pour l’année universitaire 2025-2026 : 102 pour toute la France, sept pour la Bretagne. C’est trop peu par rapport aux besoins de santé énormes en France et dans la région. Et, en plus de cela, c’est une régression ! En 2023, le nombre de postes ouverts était fixé à 113. Pour rappel, la Bretagne est trois fois plus touchée par les cancers de la peau que le reste de la France. Et, avec le vieillissement de la population, mais aussi des professionnels, la situation n’est pas vouée à s’améliorer. Il faut plus de postes ! La profession ne demande pas la lune : 50 postes d’interne en plus, soit à peine un demi par département dans toute la France. Ce manque de professionnels, particulièrement en libéral, n’est pas spécifique à la dermatologie. Mais, dans certains départements, notre spécialité tient parce que les plus âgés continuent de travailler et, dans quatre départements, il n’y a même plus de dermatologues.
Les jeunes ne sont-ils plus attirés par la dermatologie ?
En libéral, presque la moitié des dermatologues sont âgés de 60 ans et plus. 17 % d’entre eux sont en cumul emploi retraite. Un de mes collègues à Rennes est âgé de 82 ans. Mais l’idée que les étudiants ne veulent pas rejoindre la spécialité est fausse : c’est la deuxième spécialité la plus demandée par les étudiants. Or, l’État fixe le nombre de places par spécialité et ce sont donc les mieux classés qui peuvent se permettre de choisir. L’avenir de la spécialité ne peut pas reposer sur les plus âgés. On ne peut pas continuer à restreindre encore plus l’accès à la profession aux plus jeunes.
Ce manque de professionnels doit certainement peser sur les dermatologues en activité…
Je lance aussi une alerte sur la santé mentale déficiente des soignants, même si cela fait des années que l’on tire la sonnette d’alarme. Pour ma part, j’ai 60 ans et j’ai 3 200 personnes dans ma file active annuelle, c’est-à-dire l’ensemble des personnes que j’ai vues en consultation au moins une fois pendant l’année. Je compte m’arrêter parce que j’ai trouvé deux jeunes dermatologues qui pourront reprendre mon cabinet. Mais, avant cela, c’était une culpabilité incroyable. Les dermatologues ont évidemment la conscience et la peur de se dire « Que vont devenir mes patients ? » s’ils partent en retraite. C’est le cas pour beaucoup de mes collègues âgés qui ne sont toujours pas partis.
Quels moyens d’urgence peuvent-ils être mis en place pour pallier le manque de professionnels ?
Depuis fin 2021, un réseau de télé-expertise s’est développé en Bretagne, Onco Breizh avec une cinquantaine de dermatologues qui exercent en libéral. Ces derniers peuvent être sollicités par d’autres professionnels de santé pour réaliser des expertises à distance. Mais c’est loin d’être la solution idéale : elles sont faites sur le temps de travail, tard le soir ou entre deux consultations, et c’est un travail dantesque compte tenu du nombre de demandes que l’on reçoit : plus de 1 000 par mois. Mais c’est dans un souci d’efficacité pour voir les patients qui ont besoin d’être vus le plus rapidement et pour ne pas laisser errer ceux qui pourraient avoir un grave souci. On continue de réclamer à cor et à cri la formation de plus de jeunes.