Par
Thomas Rideau
Publié le
16 avr. 2025 à 7h30
« On est la risée des parcs de bus en France. » Le monde des transports en commun à Rouen (Seine-Maritime) traverse une période compliquée. Les pannes se multiplient et le matériel vieillissant fait « criser » de nombreux conducteurs de bus qui se retrouvent souvent en première ligne face à des passagers mécontents. On a essayé de comprendre d’où venait cette vague de pannes et comment on peut l’expliquer. Le tout sur fond de changement de délégataire.
Le nombre de courses annulées multiplié par 4
Derrière le réseau de bus Astuce, qui est la marque commerciale connue de tous les Rouennais, se trouve un opérateur : Transdev Rouen. Transdev est le gestionnaire depuis 30 ans du réseau rouennais, anciennement connu sous le nom de TCAR. Et dans quelques semaines, la Métropole de Rouen, l’autorité organisatrice, va renouveler ce marché. « Un gros marché équivalent à celui de Rennes », nous indique un spécialiste des transports en commun qui préfère rester anonyme pour des raisons professionnelles.
Nous sommes d’ailleurs dans la dernière ligne droite de ce changement de délégataire. Nous connaîtrons – officiellement – au mois de juin lequel des candidats va gérer les bus dans la capitale normande. Transdev va-t-il être renouvelé ? Ou bien Keolis et la RATP vont-ils décrocher le marché ?
Justement, lorsqu’un changement de délégataire intervient, des problèmes peuvent commencer à apparaître sur un réseau de transports. « C’est très mécanique », explique notre expert. « Une société peut décider de décaler des investissements dans l’attente du renouvellement et voir s’ils ont bien le marché. »
D’ailleurs, la société Transdev a déjà été pointée du doigt pour cette raison lors d’un renouvellement de DSP (délégation de service public) dans la commune de Chelles, en Île-de-France. Même chose à Saclay, en Essonne, où la transition s’est faite « de manière exécrable » entre Transdev et la RATP, selon un article des Échos.
Dans cette ville, « des encadrants qui devaient rester en place sont partis au dernier moment, le matériel était mal entretenu, l’infrastructure d’informations voyageurs a été laissée sans mode d’emploi, même les clefs des vestiaires ont disparu », indique un spécialiste du dossier de Saclay auprès de nos confrères des Échos.
Captures d’écran récentes du compte Twitter du réseau Astuce montrant des pannes de bus. (©Captures d’écran)
« Bouts de scotch, des voussoirs sur le point de se décrocher, des climatisations hors service, des portes dysfonctionnelles », nos interlocuteurs ont une longue liste de doléances concernant l’état des bus à Rouen « qui tombent en lambeaux » selon des conducteurs interrogés. Sommes-nous dans une situation similaire à Saclay et Chelles ?
« En aucun cas le changement de délégataire n’a une influence [sur l’état des bus] », tranche Guillaume Aribaud, le directeur général de Transdev à Rouen. « Nous poursuivons nos efforts de maintenance et ça n’a pas de rapport avec le changement de délégataire. Il faut savoir raison garder. »
« On a la peur au ventre »
Malgré tout, d’après des conducteurs interrogés par 76actu, l’état des bus à Rouen est « une honte », les pannes et les problèmes techniques se multiplient ces derniers mois. Et dans des proportions conséquentes.
Pour résumer la situation en un chiffre : selon les données fournies par la Métropole, en l’espace d’un an, les courses annulées (c’est-à-dire quand un bus ne peut pas terminer son circuit habituel) par les bus Astuce ont été multipliés… par 4. Nous sommes sur un changement d’échelle. Cyrille Moreau, le vice-président aux transports de la Métropole rouennaise, préfère présenter les choses autrement en relativisant : « On passe de 99,5 % à 98 % de taux moyen de réalisation des courses » (voir plus bas). À titre de comparaison, à Caen, les bus Twisto, sur la même période, affichent un taux de 99,1% et le tram de 99,8%.
Ces chiffres collent à la réalité et aux ressentis des différents acteurs. « Comme on dit à Rouen, il faut que ça roule », soupire Marie* une conductrice de bus du réseau Astuce. « En un an, on a vu la différence, l’état du parc est catastrophique », assure-t-elle.
« Ce ne sont plus des bus, mais des bétaillères »
« On a la peur au ventre avant de voir quel bus on va avoir pour notre course. D’ailleurs, ce ne sont plus des bus, mais des bétaillères. Les passagers sont les uns sur les autres et doivent parfois laisser passer deux ou trois bus avant de monter », se désole celle qui est le premier rempart face à des passagers pas franchement satisfaits du service. Marie a des centaines d’exemples en tête. De pannes, de portes dysfonctionnelles, de rétroviseurs pas adaptés à la taille du bus, des consoles qui ne fonctionnent plus…
« On est la risée des parcs de bus en France. J’ai honte. Ils doivent bien rigoler à Nice de nous avoir vendu leurs épaves », tacle-t-elle. « Parfois, on se retrouve à 10, 20 et même 30 conducteurs au dépôt en même temps à attendre qu’un bus fonctionnel arrive », lâche-t-elle, affligée. Certains bus ont, en effet, plus de 15 ans. Et le kilométrage qui va avec (plus de 600 000 kilomètres pour certains).
« Le parc n’a jamais été parfait », explique Stéphane*, un autre conducteur. « Mais le mauvais état s’est amplifié ces deux dernières années. » Lui aussi, conducteur, il est le premier témoin de la dégradation des bus. « On a souvent des voyants allumés, l’anti-pollution bien sûr, mais aussi le liquide de refroidissement, les plaquettes des freins… Le mobilier claque dans le bus, on a des bouts de scotch qui tiennent des morceaux de carrosserie (voire galerie plus haut), des joints de porte abîmés. Quand je découvre le bus que je vais sortir, je me dis que ça va encore être un bus à emmerde. Il faut avoir de la chance pour tomber sur un en bon état. »
Le problème, pour Stéphane, se trouve au niveau de la maintenance et plus précisément sur le manque de moyens de cette dernière. « La maintenance ne se concentre qu’à faire du curatif et non du préventif. » Mais aussi sur le nombre de bus et notamment pour les TEOR. « On est à flux tendu. Et d’ailleurs, je ne sais pas comment on va faire pour la future T5. »
« Trente ans d’immobilisme »
Guillaume Aribaud, rappelle que « 4 millions d’euros ont été injectés depuis 2022 pour la maintenance pour prolonger la durée des vies des bus ! » Et s’il concède que « la situation n’est pas normale » et que « ce n’est pas normal d’avoir des bus avec un tel kilométrage », il précise que « le plus important, c’est que les nouveaux bus vont arriver. Ils ont été commandés. Il faut qu’on tienne d’ici là ».
« Évidemment, cette mise en concurrence, permet une remise en cause de Transdev », indique notre expert en transports en commun. « Il y a 30 ans d’immobilisme sur le réseau rouennais », poursuit-il. « Mais là, la Métropole semble vouloir reprendre un peu la main et contrôler un peu plus son exploitant. Dans l’appel d’offres, on voit que la Métropole veut s’appuyer sur les innovations du futur exploitant », poursuit notre source.
Victime du retard pris lors du dernier mandat ?
Du côté de la Métropole, on explique la situation de trois façons. Cyrille Moreau, le vice-président, évoque la loi qui oblige les autorités organisatrices à faire appel à des bus qui ne sont pas que thermiques. Et construire un bus électrique, c’est très long. « Le bus n’est mis en production que sur commande. » Ça crée du délai.
Et l’élu n’hésite pas à charger l’ancienne majorité métropolitaine (dont il faisait déjà partie). « Le point initial, c’est le début de mandat. Les bus étaient déjà très vieux. Il y a eu beaucoup de retard pris. » Et pour justifier son propos, il rappelle qu’à ce moment-là, il n’y avait que deux bus électriques en circulation contre 215 aujourd’hui.
Donc, des délais de construction longs, du retard pris… Mais la Métropole a aussi joué de malchance avec la défaillance d’Ebusco, à qui presque 100 bus ont été commandés et qui n’a pas pu répondre à temps à la commande. « Mais ils vont commencer à être mis en service à partir du mois de septembre », assure l’élu. Qui veut aussi relativiser : « 2 % du temps, la course n’est pas complétée. Ça veut dire que si vous prenez le bus tous les jours, une panne n’arrive qu’une fois par mois. » De quoi satisfaire les passagers ?
*prénoms modifiés
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