En 1991, l’écrivain Jean Daive interrogeait l’artiste sur son travail, ses influences… et sa drôle de technique pour combattre sa maladie pulmonaire. Un entretien réjouissant, à (ré)écouter sans modération sur le site de France Culture.
La plasticienne et sculptrice Niki de Saint Phalle dans son atelier, à Soisy-sur-École, en janvier 1962. Photo Giancarlo Botti/Gamma Rapho
Publié le 10 août 2025 à 15h30
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Un long rire, fou, qui dure des minutes entières. C’est ainsi que débute cette longue interview menée en 1991 par Jean Daive avec Niki de Saint Phalle (1930-2002), pour France Culture. Cette dernière — actuellement célébrée par deux expositions, à Aix-en-Provence et à Paris — reçoit alors l’écrivain à l’ancienne Auberge du Cheval-Blanc qu’elle a achetée dans l’Essonne, tandis qu’elle achève son spectaculaire Jardin des Tarots en Toscane. Elle explique s’esclaffer ainsi vingt minutes par jour pour combattre la maladie qui a envahi ses poumons, brûlés par le polyester et les vapeurs des résines. Elle qui a « aboli la distinction entre sculpture et peinture », note Jean Daive, évoque ses influences marquantes, de Gaudí (« son merveilleux jardin de joie », dit-elle du parc Güell, à Barcelone) au Facteur Cheval, en passant par Arcimboldo ou l’action painting.
Dans ces cinq épisodes, sa biographie est effleurée : son enfance est principalement résumée à sa « schizophrénie » entre États-Unis (le pays de sa mère, où elle a partiellement grandi) et France (d’où vient son père) ; l’inceste qu’elle subit à l’âge de12 ans est à peine mentionné ; ses relations avec son premier mari, Harry Mathews, puis avec le Suisse Jean Tinguely sont à peine davantage creusées. De façon passionnante et passionnée, la plasticienne détaille son travail. Le dispositif des Tirs, ces œuvres qu’elle réalise entre 1961 et 1963 en faisant « saigner » la toile, à l’aide de pochettes de peinture que des balles viennent percer. « Au début, je n’assumais pas ma propre violence, je regardais les autres mettre le tableau à mort. » La voilà ensuite « comme droguée de cette chose », ce mécanisme artistique qui lui permet d’extérioriser « une grande rage contre les hommes, la société, Dieu et l’injustice ».
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Niki de Saint Phalle raconte aussi les « reliefs » mi-gais mi-macabres qu’elle tricote avec des jouets d’enfants, ou les semaines intenses de réalisation de Hon / Elle, cette épatante femme géante installée à Stockholm avec la complicité de l’ami et directeur de musée Pontus Hultén ou encore de son cher Jean Tinguely — et qui choqua certains visiteurs, réfractaires à l’idée de pénétrer la sculpture par son vagin. Cette série d’entretiens avec une artiste « solaire et engagée », ainsi que la décrit avec justesse son titre, se révèle riche, captivante, touchante. Notamment quand la créatrice des Nanas dit sa lassitude d’être réduite à cette « étape joyeuse et importante » de sa carrière, mais qui reste pour elle une étape. Ou assume sa « folie des grandeurs », l’assimilant à une manifestation de son « ardent » féminisme, aujourd’hui encore éminemment galvanisant.
s Niki de Saint Phalle, artiste solaire et engagée, sur France Culture. 5 × 26 mn.
« Niki de Saint Phalle. Le bestiaire magique », hôtel de Caumont, Aix-en-Provence, jusqu’au 5 octobre. Catalogue éd. Hazan, 29,95 €.
« Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hultén », au Grand Palais, Paris, jusqu’au 4 janvier 2026.