En moins d’une heure, un drone a pulvérisé des engrais foliaires bio sur une parcelle de 1,7 hectare, au château des Demoiselles à la Motte.

Aucune chance de le voir survoler le vignoble varois, c’était il y a deux ans (lire notre édition du 22 avril 2023) dans le cadre d’une expérimentation menée par la vigneronne, Aurélie Bertin.

« L’épandage par drone d’engrais foliaires homologués en agriculture biologique est autorisé, au même titre que les Préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) », explique le chef de culture, Gilles Clarenc, qui s’était renseigné auprès de la chambre d’agriculture du Var avant de procéder au vol.

En dehors de ce cadre, en France, la pulvérisation de produits phytosanitaires par voie aérienne est interdite, hors dérogations préfectorales ou ministérielles.

Et restera interdite, même après l’entrée en application de la loi du 9 avril 2025 visant à « améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés ».

Cette mesure, dont on attend toujours la publication du décret au Journal officiel, introduit une autorisation spécifique(1) pour les vignobles escarpés (plus de 20% de pente), les bananeraies des Antilles et les vignes-mères de porte-greffes conduites au sol.

De fait, le Var n’est pas concerné.

Un vol sous tension

Sur les photos publiées dans l’édition (papier) que vous tenez entre vos mains, deux ans après, toujours aucun drone au décollage dans le département. Du moins en images.

Jeudi 10 juillet, lors d’une démonstration de l’utilisation des drones en viticulture initiée au château Reillanne (Le Cannet-des-Maures) par la chambre d’agriculture du Var, le prestataire toulonnais, Agribio Drone, a bien rempli ses buses d’eau et lancé son engin: 2,5 mètres d’envergure, plus de 25kg au décollage pour un survol du vignoble encadré par la Direction générale de l’aviation civile, qui définit les règles s’appliquant aux drones en fonction de leur masse et de la zone survolée.

« On a une autorisation d’exploitation pour décoller, mais vu que tout ce qu’on va faire est interdit, il n’y aura pas de démo si vous prenez des photos et les publiez dans Var Matin », a menacé le prestataire, Augustin Navarranne.

Face à une réglementation drastique, l’entrepreneur, sur les dents, n’oublie pas que plusieurs start-up du secteur ont planté au cours des dernières années.

« J’ai créé ma société il y a quatre ans, spécifiquement pour la viticulture. Mais aujourd’hui à cause de la réglementation, mon cœur de métier, c’est l’utilisation du drone pour le blanchiment des serres ou le semis à la volée (lire par ailleurs) », déplore-t-il.

Retour sur les inondations du 20 mai

Pour Augustin Navarranne et pour les viticulteurs varois, une brèche s’était pourtant ouverte, suite aux inondations du 20 mai survenues sur la commune de Bormes-les-Mimosas.

Dans les secteurs de Grimaud et la Môle, des pluies diluviennes et des vagues d’eau ont inondé le vignoble provençal sur près de 20 hectares, rendant impossible les traitements phytosanitaires alors que la pression mildiou (un champignon qui se développe avec l’humidité, N.D.L.R.) semblait sur le point d’exploser.

« Les vignes étaient les pieds sous l’eau, il a fallu attendre dix jours pour rentrer avec le tracteur sur certaines parcelles détrempées, il fallait traiter par voie aérienne si on voulait sauver le vignoble », raconte Anthony Senequier, secrétaire adjoint à la chambre, lui-même viticulteur à La Garde-Freinet.

Première dérogation historique dans le Var

Pour la filière agricole sinistrée, le salut est venu du ciel, dimanche 25 mai, grâce à la mobilisation du président de la chambre, Sylvain Audemard.

En cinq jours, avec l’ancien préfet de département Philippe Mahé et la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), l’homme réussit à décrocher une dérogation autorisant les traitements aériens de bouillie bordelaise sur la commune borméenne, pour lutter contre le mildiou de la vigne.

Avec la signature des quatre ministres de l’Agriculture, de la Transition Écologique, du Travail et de la Santé.

Une première en France, qui aurait pu faire décoller l’activité d’Agribio Drone, mandaté par les viticulteurs sinistrés pour ce vol salutaire. Mais là encore, le drone n’a pas décollé.

« L’autorisation se limitait à l’application d’un seul fongicide, la bouillie bordelaise [RSR Disperss], la bleue, introuvable sur le marché, tout le monde utilisant la blanche, non colorée et de ce fait moins visible à l’œil nu », déplore Julien Senequier, technicien expert en pulvérisation chez Racine, la PME Brignolaise qui distribue ses solutions agronomiques (produits phytopharmaceutiques, engrais, phytothérapie, etc.) sur 50% des surfaces agricoles du Var.

Un tollé, mais aussi une piste à suivre pour les élus de l’agricole varoise. « Nous sommes le premier département en France à avoir obtenu cette dérogation, c’est une première étape pour faire évoluer la réglementation sur l’usage agricole des drones, comme outil d’aide à la décision, pour réduire les traitements », avance Hélène Saltetto, première secrétaire adjointe à la chambre.

Pour y parvenir, son président Sylvain Audemard et les services techniques de la CA83 organisaient deux démonstrations de l’utilisation des drones agricoles en conditions réelles, mi-juillet, en partenariat avec plusieurs acteurs innovants du secteur.

Dans les deux cas, les démonstrations s’inscrivaient dans une démarche vertueuse, chez des adhérents du réseau Fermes Dephy, un dispositif national pour accompagner les agriculteurs engagés dans une démarche volontaire de réduction des produits phytosanitaires.

« Il faut proposer aux agriculteurs des solutions adaptées aux contraintes climatiques actuelles et apporter des arguments pour démocratiser l’usage du drone agricole, en montrant ses applications sur le terrain », défend Lise Martin, conseillère spécialisée viticulture à la chambre.

Pour booster le décollage de cet écosystème, la chambre a noué un partenariat avec le pôle de compétitivité Safe (500 adhérents), nouvellement arrivé sur le marché agricole.

« Pour l’instant, l’écosystème français des drones est très positionné sur la sécurité défense. Notre job, c’est d’identifier des marchés, permettre à nos adhérents de faire du réseau et faire du lobbying auprès des ministères pour faire évoluer la réglementation », avance Hubert Berenger, responsable systèmes autonomes et mobilité chez Safe, reconnu comme l’expert de référence de cette filière.

Avec de tels arguments, les drones agricoles ne devraient plus tarder à se remettre en piste.

(1) La loi définitivement adoptée autorise, sous conditions, l’usage de drones pour l’épandage de produits phytopharmaceutiques peu dangereux, de biocontrôles et de produits utilisables en agriculture biologique (bouillie bordelaise bénéficiant d’une Autorisation de mise en marché, AMM).


1 minute 49 secondes, c’est le temps qu’il a fallu au drone de Tech N’ Drone, pour survoler une parcelle de 8511,9m2 et réaliser 155 photos. Photo Camille Dodet.

Les drones, alliés de l’agriculture de précision

Dans le département comme partout en France, les drones agricoles sont d’ores et déjà utilisés dans les vignes et les champs, pour de nombreux usages autorisés par le législateur: blanchiment des serres, surveillance des cultures, estimation des dégâts climatiques ou des dégâts gibiers, lâchers de trichogrammes, des micro-insectes utilisés comme moyen de lutte biologique pour protéger les cultures, analyse du feuillage et diagnostic santé des vergers comme outil d’aide à la décision en vue d’un traitement, semis à la volée, ou encore comptage et localisation précise des ceps manquants de vignes comme moyen d’aide à la complantation.

Les bénéfices agronomiques seraient tangibles, selon les promoteurs de l’utilisation de ces aéronefs télépilotés.

« Le drone c’est beaucoup plus rapide »

« En tracteur, pour traiter un hectare avec un pulvérisateur classique, en passant un rang sur deux pour un traitement face par face, il faut 30 minutes. Le drone c’est beaucoup plus rapide, puisqu’il n’y a pas de roues on ne tasse pas les sols, et on peut intervenir sur des parcelles difficiles d’accès », avance Anthony Senequier.

« Toutes ces technologies convergentes sont des supports qui permettent de faciliter le conseil aux agriculteurs. L’agriculture de demain n’est pas une agriculture technologique, c’est une agriculture de la connaissance », estime de son côté Martin de Reynal, directeur marketing de Chouette Vision.

La start-up parisienne de l’agritech, qui propose plusieurs solutions de surveillance viticole pour la détection précoce des maladies, mildiou en tête, avait fait le déplacement au château Reillanne, pour présenter ses solutions.

Tout schuss vers le blanchiment des serres

Jeudi 3 juillet, à Solliès-Pont, un groupe d’agriculteurs se presse devant les serres de Benjamin Trucco, installé en arboriculture-maraîchage bio sur 20 hectares.

Le drone de la société Verticale Capture décolle pour un survol rapide du champ de fraisiers qui jouxte les abris plastiques où prospèrent légumes et fruits d’été, courgettes, tomates, melons, etc.

Le vol est avant tout démonstratif, le drone piloté ce jour-là est d’un modèle bien plus petit que ceux (plus de 25kg au décollage) utilisés pour le semis de couverts végétaux à la volée, le largage d’auxiliaires ou le blanchiment des serres.

« Réalisée au printemps, cette opération annuelle de pulvérisation de blanc d’ombrage permet de tamiser les serres au moment où la luminosité augmente, pour protéger les cultures des brûlures », explique Julie Hars, cheffe du service arboriculture, maraîchage et filières émergentes à la CA83.

Traditionnellement réalisée au moyen d’un pulvérisateur, ou en montant sur l’édifice pour appliquer le mélange d’eau et de bicarbonate de calcium, un minéral présent à l’état naturel dans la craie, cette opération a été trustée par le drone agricole, bien moins dangereux pour les utilisateurs.

« Quand on monte sur une serre vétuste, le risque est de passer au travers. Au lieu de monter sur l’engin on le regarde voler, à entre 1 mètre et 2,5m au-dessus de sa cible », explique Marc Roustan de Verticale Capture. Sa société de services par drones, basée au Plan-d’Aups, a vu son activité décoller avec la recrudescence des dégâts gibiers.

« L’utilisation des drones la plus efficace, c’est pour l’estimation bioclimatique et les dégâts gibiers, mais il faut démocratiser la pratique, c’est peu connu », assure le prestataire.