Né le 11 novembre 1955, jour d’armistice, Friedrich Merz pouvait rêver d’un destin politique placé sous le signe de la réconciliation et de la stabilité. Mais cent jours après son élection à la chancellerie le 6 mai, il est déjà confronté à un mur d’impopularité. Selon un sondage de la télévision publique allemande publié jeudi, six Allemands sur dix considèrent qu’il n’est pas à la hauteur de la fonction de chancelier.
Une source d’inquiétude pour celui qui fêtera ses 70 ans en novembre, tout comme pour les indicateurs économiques allemands. Le PIB, figé depuis plusieurs années, n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. Au deuxième trimestre, il a reculé de 0,1 %, et pour 2025, le FMI prévoit une quasi-stagnation à +0,1 %. La situation risque encore de se dégrader avec l’instauration, depuis le 7 août, d’une surtaxe américaine de 15 % sur les produits européens.
Pour Friedrich Merz, ce revers infligé par son principal partenaire économique risque de causer des « dommages importants » à l’Allemagne, qui espérait se redresser cette année grâce à un plan de relance de 500 milliards d’euros. Mais la réalité s’avère souvent plus complexe que prévu.
Le défi des infrastructures
Aucun pays de l’UE n’investit aussi peu dans ses infrastructures que l’Allemagne. Depuis l’an 2000, les pays européens allouent en moyenne environ 3,7 % de leur PIB chaque année aux routes, aux écoles et autres infrastructures publiques, tandis que l’Allemagne plafonne à seulement 2,1 % de PIB.
La situation est préoccupante dans certains secteurs, notamment pour le déploiement de la fibre optique, où le retard allemand face à la France est criant. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), près de 71 % des connexions haut débit en France passent par la fibre, contre seulement 12 % en Allemagne, bien en deçà de la moyenne de l’OCDE à 44 %.
Dans ce contexte, l’annonce début mars de la création d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros d’emprunts, consacré aux infrastructures et à dépenser sur douze ans, avait suscité de grands espoirs. Des espoirs aujourd’hui douchés par la réalité de secteurs pénalisés depuis des décennies par le manque d’investissement.
Le rail allemand déraille
En première ligne du plan de relance des infrastructures figure le rail allemand. L’exploitant ferroviaire allemand Deutsche Bahn (DB) bénéficiera de 107 milliards d’euros d’aides publiques d’ici à 2029 pour un chantier titanesque de modernisation du réseau, après des années de sous-investissement.
Les grands axes ferroviaires, de Cologne/Francfort à Hambourg/Berlin, en passant par Francfort/Mannheim, sont totalement saturés. Selon la Deutsche Bahn, 26 % des aiguillages sont défectueux, tout comme 11 % des ponts, 23 % des voies, 42 % des passages à niveau et près de la moitié des postes d’aiguillage.
Mais la Deutsche Bahn a récemment annoncé que la rénovation complète de ces grandes lignes pourrait être reportée à 2036, soit cinq ans de plus que ce qui était prévu initialement. En cause, l’effondrement de 9 % des revenus du fret, conséquence directe de la faiblesse persistante d’une industrie allemande en crise, mais aussi un besoin supplémentaire de financement pour mener à bien le programme de rénovation.
Selon Richard Lutz, directeur général de la Deutsche Bahn, près de 17 milliards d’euros supplémentaires sont nécessaires d’ici à 2029, pour mener de front la numérisation et la modernisation des infrastructures existantes, sans accumuler de retard.
Cette hausse imprévue des besoins de financement pour rénover les infrastructures, combinée à une faible croissance, va creuser un trou budgétaire de 172,1 milliards d’euros sur la période 2027-2029. La coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates promet de le combler, misant sur une réforme des remboursements de soins de santé, du système de retraites et de l’allocation pour les chômeurs de longue durée. Mais déjà, des fissures apparaissent au sein de la coalition.
Été 2025 : la coalition montre ses premières failles
Une première faiblesse est apparue au début de l’été entre conservateurs et sociaux-démocrates, incapables de s’entendre sur une baisse du prix de l’énergie pour les particuliers. Quelques jours plus tard, un nouveau désaccord éclatait au grand jour autour de la nomination de trois juges à la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe.
La nomination de ces trois juges a échoué le 11 juillet au Bundestag. Le groupe conservateur, formé par l’Union chrétienne-démocrate (CDU) de Friedrich Merz et l’Union chrétienne-sociale (CSU), ayant refusé de voter pour une candidate proposée par leur allié, le Parti social-démocrate (SPD). En raison de positions de la candidate jugées trop libérales sur l’avortement et le port du voile.
Cette première confrontation a ravivé le spectre des tensions internes qui avaient paralysé la coalition précédente, menée par le social-démocrate Olaf Scholz, et conduit à son implosion, précipitant des élections anticipées en février.
Le gouvernement n’est « même pas capable de rassembler une majorité dans ses propres rangs, encore moins dans la population », a fustigé Ines Schwerdtner, la présidente du parti de gauche radicale Die Linke, dans l’opposition.
À l’image de son échec dès le premier tour de sa propre élection en mai, ce nouveau couac révèle l’équilibre fragile sur lequel évolue Friedrich Merz.
Avec seulement douze sièges d’avance sur la majorité absolue au Bundestag, la coalition dispose d’une marge de manœuvre étroite. Et à la rentrée, ce sont des dossiers explosifs – le budget 2026, la réforme de l’allocation citoyenne et le frein à l’endettement – qui l’attendent.