En ce samedi de mi-juillet, il y a foule dans les allées du marché des Lices, à Rennes. Sous la halle Martenot, certains flânent au hasard et s’attardent devant les produits locaux. D’autres ont leurs habitudes et connaissent les produits de leurs producteurs. « On sait qu’ici c’est toujours de la qualité », explique une cliente qui fait la queue. Ici, c’est l’emplacement de Coralie Roger : « Je vends des confitures sur le marché des Lices depuis 35 ans », souligne l’énergique sexagénaire qui s’affaire autour de son étal où sont exposées des dizaines de pots aux divers parfums qui ne manquent pas d’attirer les becs sucrés. Et il y a de quoi faire avec 70 sortes de confitures différentes : abricots framboises, cerises griottes, mûres épicées, citron… À chacun son petit pot de bonheur.
Le sien : « Orange gingembre. C’est une vraie tuerie ! », dit-elle avec un petit sourire gourmant. Sa recette, beaucoup de travail, mais surtout « la simplicité ». Pour ses assemblages, elle explique « travailler à l’instinct ».
Coralie Roger, derrière son étal où sont exposées des dizaines de pots de confiture. (Photo Le Télégramme/David Brunet)« Le plaisir du beau et du bon » et une rencontre inattendue
Et la formule plaît. D’abord et avant tout à ses clients du marché : « J’ai des retours positifs des gens que je rencontre et avec qui des liens se créent. Ils me donnent leurs avis. Quand ils sont satisfaits, je le suis aussi. Mais j’ai une clientèle fantastique. Ils me suivent dans tout ce que je fais ».
C’est un personnage. Elle est de bon conseil et elle sait parler de ses produits »
Preuve en est, le nombre d’habitués des lieux à attendre patiemment leur tour. Et la qualité, « le plaisir du beau et du bon », a su également séduire les papilles de grands professionnels de la gastronomie : « Un jour, j’ai rencontré Olivier Roellinger sur le marché. À l’époque, il faisait ses courses ici le samedi matin. Je lui ai fait goûter mes confitures. Ça lui a plu. Il cherchait une confiturière. Il m’a trouvé. Je continue depuis à travailler avec lui et les pâtissiers qui l’accompagnaient ». C’est aussi naturellement que ses confitures estampillées « Les jardins de Coralie » ont trouvé leur place sur les tables des Relais & Châteaux et de grands lieux de la région.
Confiturière à succès, Coralie Roger n’était pas destinée à ce métier. (Photo Le Télégramme/David Brunet)La rhubarbe de Saint-Pol-de-Léon, les poires de Rennes…
Et pourtant rien ne la destinait à exercer ce métier. Après avoir été éducatrice sportive pour personnes en situation de handicap dans l’Oise, elle plaque tout et rejoint en 1991 la Bretagne où petite elle passait des vacances en famille. Auprès d’un maraîcher morbihannais, elle découvre alors un métier qui va changer sa vie : « Je ne savais pas ce que j’allais faire. Et là, j’ai découvert le plaisir de travailler la terre ».
Pour valoriser la surproduction de la ferme (fraises, framboises, cassis, groseilles, pommes) et les retours de marché, elle se lance alors dans la fabrication de confitures. Une démarche évidente et de bon sens pour elle : « On ne jette pas les produits que l’on cultive avec passion mais aussi avec douleur ». En 2002, elle crée son propre laboratoire de fabrication à Crac’h (56) et devient confiturière à plein temps. « Là, mon activité a explosé. Je me suis lancée dans de nombreuses confections au fil des saisons ».
Si elle travaille seule, elle explique que rien ne serait possible sans l’essentiel « le travail en amont des producteurs de fruits » qu’elle n’oublie jamais de mettre en avant. « La rhubarbe par exemple vient de Saint-Pol-de-Léon. Mes poires d’automne elles sont cultivées à côté de Rennes et j’ai plaisir à les transformer ». Cette relation qu’elle entretient avec une grande partie d’entre eux participe ainsi à « ajouter aussi une histoire à mes confitures ».
« Je discute avec eux. La vie des gens me plaît », raconte Coralie Roger. (Photo Le Télégramme David Brunet)
Des histoires que ses clients se plaisent aussi à entendre : « Ça fait au moins 10 ans que je la connais. C’est un personnage. Elle est de bon conseil et elle sait parler de ses produits », souligne Anne, un pot de confiture de citron à la main. Car pour la « confiturière en herbe », comme elle se désigne, les relations avec les gens, c’est son ADN. « Je ne vends que sur les marchés dans le Morbihan et aux Lices à Rennes. J’ai envie d’avoir un client en face de moi. Un marché riche en relation pour moi, c’est important. Je ne fais pas que vendre des confitures, je m’intéresse aux gens. Je discute avec eux. La vie des gens me plaît ».
« On me connaît aussi pour mon franc-parler »
Certain au fil des ans ne sont plus des anonymes. Elle a pour chacun un petit mot : « Je t’ai fait une confiture rouge mi-sucrée », lance-t-elle à un habitué. Un tutoiement qu’elle emploie avec tous ses clients, une forme de « familiarité bienveillante ». Un côté naturel et spontané qui fait partie entièrement du personnage : « Les gens adorent cette façon de faire. Ça fait partie de ma simplicité ».
Une figure du marché des Lices qui a également été durant plus de 30 ans la représentante des commerçants non-sédentaires : « On me connaît aussi pour mon franc-parler ». Un personnage à l’image de ses confitures, haut en couleur et aux différents parfums qu’il faut savoir découvrir.
Après 35 ans de présence aux Lices, difficile pour cette passionnée d’envisager de mettre un terme à son activité : « C’est ma passion, mon boulet aussi. J’y passe ma vie. Je me suis livrée corps et âme à ce travail qui des fois me secoue. Lever le pied je ne sais pas faire et arrêter encore moins ». Alors après chaque marché elle ne déroge pas à son rituel : « Retrouver la mer pour nager et me revitaliser. C’est obligatoire ».