La partie littérature est le récit par l’auteur de Montedidio (2002) et des Règles du Mikado (2024) d’épisodes de sa vie chaque fois liés à des souvenirs de repas, de son enfance comme ceux qu’il a partagés dans les anciennes « trattorie » italiennes.

Erri De Luca : « Chacun a un double-fond, le charme est dans le malentendu »

On retrouve Erri De Luca depuis sa petite enfance où il fut allergique au lait, puis rétif aux études qu’il arrêta au tout début des années 70, pour devenir maçon et militant révolutionnaire d’extrême gauche à Lotta Continua, jusqu’à émerger depuis l’an 2000. Il est l’écrivain majeur qu’on connaît avec sa formidable humanité, celui qui est venu en aide à Sarajevo assiégée par les Serbes, comme aux Ukrainiens attaqués par Moscou, celui qui ne cesse d’alerter sur la Méditerranée devenue un cimetière d’immigrants.

L’homme aussi qui lit la Bible en hébreu et est passionné d’escalades en solitaire. Il aime affronter seul la paroi verticale et explique rentrer alors le soir au gîte de montagne, « un peu froissé à l’extérieur, mais tout propre à l’intérieur ».

Bien se nourrir

Chaque court chapitre de ses souvenirs porte un nom parfois surprenant comme : « Eau de fontaine et pain de boulanger » ; « À table on se bat avec la mort » ; « Faim, satiété, soif » ; « Himalaya » ; « La tarte aux fraises ».

Et chaque fois, le court récit de l’écrivain est suivi du commentaire d’un de ses amis, le nutritionniste Valerio Galasso qui nous explique les bienfaits ou les méfaits de ce que l’écrivain évoque au moyen d’informations scientifiques et de conseils pratiques en vue de saines habitudes alimentaires. Une manière d’avoir deux livres très différents dans un seul !

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C’est le pain du Sud, qui est du pain partagé.

Le médecin nous conseille ainsi, par exemple, aussi bien de boire deux grands verres d’eau avant chaque repas que de réduire nos consommations de fromage et de lait afin de pouvoir nous offrir plus sereinement une glace et des fromages de qualité !

Les souvenirs d’Erri De Luca sont pleins de nostalgie, venus d’une époque de nourriture sobre, loin de celle des chefs étoilés d’aujourd’hui, un retour à la simplicité des traditions napolitaines.

Il explique dans la préface qu’il appartient « à une époque alimentaire antérieure, fondée sur les faibles quantités et le manque de variété. Il m’est resté dans la bouche un palais fruste, capable de distinguer le bon du mauvais, mais pauvre en nuances intermédiaires. »

Le premier chapitre porte sur le jeûne, y compris ses bienfaits. Mais il y rappelle que « la faim est la condition humaine la plus humiliante, une malédiction qui persécute l’humanité depuis son origine et qui est la cause d’émigration en masse. »

Ses recettes

Dans le chapitre consacré au sel, il explique : « depuis longtemps, je n’en mets plus dans l’eau de cuisson des pâtes ou du riz. J’ajoute à la place quelques gouttes d’extrait d’anchois dans l’assaisonnement. Je n’en mets dans aucun plat, même sur l’œuf dur. » Il ajoute : « Pour qui est né et a grandi à la mer, le sel est celui sur la peau essuyée après un plongeon. Je préfère le garder sur moi, comme une protection. J’aime son odeur. »

Pour le nutritionniste, les deux grammes de sel par jour recommandés par l’Organisation mondiale de la santé sont très vite atteints : « il suffit de mal rincer les légumes en boîte, de manger des câpres ou de boire un verre de boisson énergétique ».

« Montedio » en 2002, Erri De Luca, le griot merveilleux

Le livre montre un Erri de Luca ascète, solitaire et solaire à la fois, pétri pas les règles sacro-saintes de l’hospitalité et de la solidarité humaine, faisant reculer, disait sa mère, les journalistes par l’odeur de l’ail qu’il aimait croquer. « Il m’arrive de parler tout seul, pour entendre une voix. Je n’ai pas l’électricité, j’ai cessé de payer et on me l’a coupée. Je me débrouille avec des bougies et le feu de la cheminée. »

Le livre se termine même par une quinzaine de recettes anciennes de plats chers à l’écrivain napolitain comme la Frittata di Maccheroni (omelette de macaronis), la Sugo di Carne (sauce à la viande) ou le Casatiello (le pain de Pâques napolitain).

Récits de saveurs familières | Récit | Erri De Luca avec les commentaires de Valerio Galasso, traduit de l’italien par Danièle Valin | Gallimard, 256 pp. 18 €, numérique 13 €

EXTRAIT

« Notre arrivée à midi était accueillie par un cri de ragù droit dans le nez. Cette sauce hurlait, elle était un stade debout après un but, une étreinte, un saut et une cascade dans les narines. Je ne retrouverai jamais plus cet assaut au sommet de mes sens. À, table, devant ce plat de pâtes au ragù, jamais avec du fromage qui était une insulte, j’étais assis bien sagement, mais intérieurement je me tenais à genoux devant mon assiette. »