Ils ont lancé une action en justice : les résidents du Foyer Moïse à Rouen veulent conserver le bâtiment, la mosquée et les lieux de partage menacés par une délibération du Conseil Municipal du 27 juin 2024 autorisant leur démolition, à la demande de Rouen Habitat, entre 2025 et 2026 pour laisser place à une résidence sociale selon les directives du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants publié en 2014 (PTFTM).

Inauguré en 1969, le Foyer Moïse « destiné à mettre à l’abri des travailleurs sénégalais et mauritaniens a été financé avec le soutien alors des gouvernements des deux pays et construit sur deux terrains agricoles alors à l’extérieur de la ville qui, depuis, l’a entouré », déclare Diamio Coulibaly, retraité arrivé en 1974. Il a été imaginé par l’architecte Robert Génermont (qui a obtenu un prix de l’Equerre d’argent en 1961) « dans un style avant-gardiste avec des places de villages, des cours de maisons, avec sa cuisine, son bar, ses vastes chambres, ses espaces d’alphabétisation et de culture ainsi que sa mosquée intégrée au plan avec une incantation à côté du Mihrab traitée de manière moderniste », détaille Stany Cambot, président de l’association Échelle Inconnue, qui regroupe des architectes, artistes, journalistes, etc.

« Un vrai village »

La réputation d’accueil et de solidarité du Foyer Moïse a fait rapidement le tour de l’Hexagone, « et même jusqu’en Afrique. Entre les années 1970 et 1980, les 104 chambres sur quatre étages ont permis à plus de 200 migrants d’avoir un toit. Il est devenu une vraie communauté avec ses marchands ambulants, ses différentes ethnies qui se côtoient sans jamais de problème. Un vrai village même si nous ne parlons pas tous la même langue », poursuit Dia Moussa, délégué des résidents.

Rouen Habitat a pour projet de le remplacer par « 98 chambres, 15 places de stationnement aériennes, des locaux administratifs, des salles collectives, des locaux techniques et un local vélo, le tout sur une surface de plancher de 2900m2 dans un bâtiment en R + 2 » selon sa présentation lors de son Conseil d’Administration du 14 décembre 2023. Intolérable pour Souleymane Konaté, président de SOFRESFOM (Solidarité des résidents et sauvegarde des foyers de migrants), « car, même si le Foyer Moïse n’échappe pas à la règle du PTFTM, nous voulons pointer du doigt la particularité de son niveau architectural ».

« Avec une reconstruction en résidence sociale, Rouen Habitat propose une barre d’immeuble avec des espaces réduits et des chambres avec un lavabo et un micro-onde. Si vous démolissez notre maison, vous démolissez nos droits, argumente Souleymane Konaté. Les résidents veulent rester dans ces murs et réclament une réhabilitation, mais ils ne sont pas entendus. Certains sont-là depuis 1969 et veulent conserver cette vie sociale. Nous n’avons pas été intégrés dans les discussions. La mosquée est la seule en France dans un foyer de migrants et ce fut la deuxième inaugurée en France après la Grande Mosquée de Paris. Il y a du mépris dans tout cela. C’est pourquoi, nous refusons maintenant d’aller à la moindre réunion. »

Une lettre ouverte

Alors, avec le soutien d’Échelle Inconnue, les résidents ont choisi de prendre la voie judiciaire auprès du Tribunal Administratif et de faire appel à Maitre Chloé Chalot du barreau de Rouen. « Nous réclamons les diagnostics financier, d’amiante et patrimonial, poursuit Stany Cambot. Au fil des années, le bailleur n’est jamais intervenu et a laissé pourrir le bâtiment et maintenant, on nous parle de dignité et de qualité de vie. Est-ce normal de ne pas pouvoir se réunir dans un lieu de vie ? Est-ce normal d’oublier l’histoire et les destinées de ces Sénégalais et Mauritaniens ? Est-ce qu’il faut en finir avec ce patrimoine ? Nous voulons un vrai travail d’inventaire patrimonial. Pour cela, nous avons édité une lettre ouverte pour soutenir tous ces résidents (https://www.echelleinconnue.net/accueil/signatures/) »

De son côté, l’architecte Robert Génermont a demandé le classement du Foyer Moïse au titre d’ACR (Architecture contemporaine remarquable). « Nous apportons notre soutien à cette démarche, assure Stany Cambot. Il faut savoir qu’il est aussi le créateur de l’Hôtel de Police de Rouen et de la Cité Administrative. Tous les deux ont été rénovés, alors pourquoi pas le foyer ? »