Le président américain Donald Trump
et le président russe Vladimir Poutine vont s’entretenir
vendredi en Alaska pour dessiner les contours d’un accord de
paix en Ukraine, un sommet qui revêt une importance majeure pour
la sécurité en Europe.
Les dirigeants européens et le président ukrainien Volodimir
Zelensky comptent s’entretenir avec Donald Trump mercredi en
amont du sommet, alors que les capitales européennes craignent
que Washington, jusqu’ici le principal pourvoyeur d’armes à
Kyiv, négocie des conditions de paix défavorables à l’Ukraine.
Des articles de presse rapportent que Vladimir Poutine a
confié à son homologue américain qu’il souhaitait que l’Ukraine
cède des zones dans la région de Donetsk que Moscou ne contrôle
pas encore. La Russie revendique également trois autres régions
ukrainiennes ainsi que la péninsule de Crimée, annexée en 2014.
QUEL ACCORD PEUT-IL ÉMERGER ?
Sans entrer dans les détails, Donald Trump a avancé que tout
accord incluerait un échange de territoires, provoquant des
protestations de la part de Kyiv et des capitales européennes.
Moscou occupe près de 20% du territoire ukrainien alors que
l’Ukraine n’occupe aucune terre russe.
« C’est une inquiétude raisonnable que de penser que Trump se
laisse berner par Poutine et conclut un accord aux dépens de
l’Ukraine », a noté Daniel Fried, ancien diplomate américain de
haut rang désormais membre du think tank Atlantic Council.
Toutefois, a-t-il ajouté, de « meilleurs résultats » pour
l’Ukraine sont toujours possibles si les dirigeants américains
« prennent conscience que Poutine continue de jouer avec eux ».
L’une des issues possibles est un accord sur une « ligne
d’armistice » au lieu d’un échange final de territoires, avec une
reconnaissance de facto – non légale – des terres actuellement
occupées par les troupes russes.
Outre les considérations territoriales, les négociateurs
vont devoir aborder le sujet des garanties sécuritaires pour
l’Ukraine, son ambition de rejoindre l’Otan et l’Union
européenne, des restrictions sur la taille de son armée
réclamées par Moscou, et le futur des sanctions occidentales
contre la Russie.
Donald Trump n’a pas fait de commentaires sur ces sujets
depuis l’annonce de sa réunion avec Vladimir Poutine, bien que
l’administration américaine ait averti qu’il était exclu que
l’Ukraine intègre l’Otan.
Selon certains diplomates, une possibilité existe pour que
Donald Trump opte pour un accord unilatéral avec Moscou, donnant
la priorité à des contrats énergétiques lucratifs et des accords
potentiels de contrôle des armes entre les Etats-Unis et la
Russie.
Le locataire de la Maison blanche a déjà émis l’hypothèse
d’un accord impossible entre Moscou et Kyiv.
La Maison blanche n’a pas répondu à une demande de
commentaire sur la possibilité que le président américain signe
un accord unilatéral avec le chef du Kremlin.
TRUMP PEUT-IL FORCER UN ACCORD SUR L’UKRAINE ?
Un accord incluant un échange de territoires serait
accueilli avec défiance par Volodimir Zelensky et les dirigeants
européens. Le président ukrainien a rappelé que la Constitution
de son pays interdisait une telle éventualité, ce qui pourrait
tout au plus mener à un gel des lignes de front actuelles et une
division instable et juridiquement non contraignante de son
pays.
Donald Trump pourrait forcer Kyiv à accepter un tel accord,
brandissant la menace d’un arrêt des livraisons d’armes et du
partage du renseignement militaire.
Il pourrait toutefois autoriser l’Europe à acheter des armes
américaines au nom de l’Ukraine, a confié un dirigeant européen
à Reuters sous couvert d’anonymat.
« La perte du renseignement américain serait l’élément le
plus dur à remplacer. L’Europe est loin d’être en mesure de
fournir ce soutien », a-t-il ajouté.
QUELLES CONSÉQUENCES DOMESTIQUES POUR DONALD TRUMP ?
Mais abandonner l’Ukraine peut s’avérer risqué politiquement
pour Donald Trump, selon John Herbst, ancien ambassadeur
américain à Kyiv, désormais consultant pour Atlantic Council.
Un tel scénario ferait de Donald Trump « un complice du viol
de l’Ukraine par Poutine (…) Je ne pense pas que Trump veuille
être vu de cette manière », a-t-il dit.
Le président américain pourrait aussi se faire des ennemis
au sein même de son Parti républicain, où il est pourtant
solidement ancré.
« Récompenser Poutine de son invasion illégale de l’Ukraine
et de son génocide brutal en Ukraine, ce serait envoyer le
message contraire à celui que l’on doit envoyer aux dictateurs
et aux dictateurs en puissance à travers le globe », a écrit
Brian Fitzpatrick, membre républicain du Congrès et ancien agent
du FBI, sur le réseau social X.
COMMENT L’EUROPE PEUT-ELLE RÉPONDRE ?
Les Etats membres de l’UE ont acté mardi que l’Ukraine
devait être libre quant au choix de son futur et se sont
déclarés prêts à contribuer encore plus aux garanties
sécuritaires de Kyiv.
Pour Oana Lungescu, ancienne porte-parole de l’Otan et
désormais membre du think tank RUSI, les pays de l’UE doivent
agir beaucoup plus rapidement pour armer l’Ukraine et démarrer
dès septembre le processus d’adhésion de Kyiv au bloc.
« Si un accord inacceptable émerge de l’Alaska, les capitales
européennes se lanceront dans une nouvelle offensive de charme
et diplomatique vis-à-vis de Trump », a déclaré pour sa part Jana
Kobzova, de l’European Council on Foreign Relations.
« Les dirigeants européens sont de plus en plus conscients
que le futur de la sécurité de l’Ukraine est inséparable de
celle du reste de l’Europe et ils ne peuvent pas laisser Poutine
seul décider de sa forme et de son avenir. »
(Bureaux de Washington, Londres, Bruxelles, Berlin, Moscou et
Kyiv; version française Zhifan Liu)