Ce dérivé opioïde synthétique, 40 fois plus puissant que le fentanyl, inquiète les autorités sanitaires européennes. Peu détectable, souvent consommé à l’insu des usagers, il a déjà causé plusieurs décès en France et des centaines ailleurs.

Il agit en silence, frappe sans prévenir et échappe même aux tests toxicologiques classiques. Le nitazène, un opioïde de synthèse méconnu du grand public, commence à s’implanter en France, suscitant l’inquiétude croissante des autorités sanitaires. Injecté, inhalé, dissimulé dans des médicaments contrefaits ou mélangé à d’autres substances, ce produit est jusqu’à 40 fois plus puissant que le fentanyl, déjà responsable de près de 200 morts par jour aux États-Unis.

Longtemps limité au marché nord-américain, le nitazène s’infiltre désormais dans les réseaux de distribution européens. Deux décès ont déjà été recensés en France, à Montpellier et à La Réunion en 2023. En Grande-Bretagne, la molécule a causé au moins 400 décès en 18 mois. En Écosse, sur 5,5 millions d’habitants, elle est impliquée dans 150 à 200 morts liées à la drogue ces deux dernières années.

Un opioïde 500 fois plus puissant que la morphine

Initialement synthétisés à la fin des années 1950 pour un usage médical jamais validé, les nitazènes n’ont jamais été approuvés en Europe. Ils sont aujourd’hui majoritairement produits en Chine. Puis introduits discrètement sur le continent européen sous diverses formes : poudres, sprays nasaux, comprimés, voire liquides. Leur danger réside autant dans leur puissance, jusqu’à 500 fois celle de la morphine, que dans leur invisibilité pour les consommateurs. Les tests de dépistage classiques n’identifient pas la molécule. Ce n’est qu’au moyen d’analyses complexes, comme celles réalisées à Massy par les laboratoires des douanes, qu’il est possible de la détecter. Résultat : de nombreux usagers se retrouvent piégés, croyant consommer de l’héroïne ou un anxiolytique.

« Il s’agit probablement de la plus grave crise de santé publique pour les consommateurs de drogues au Royaume-Uni depuis la crise du sida des années 1980 », alerte Vicki Markiewicz, directrice de Change Grow Live comme le rapporte Le Point.

Plus alarmant encore, certains trafiquants achètent le produit « à bas prix et les mélangent à des agents gonflants comme la caféine et le paracétamol pour renforcer le produit vendu et réaliser des profits importants », précise Charles Yates, directeur adjoint de l’agence britannique de lutte contre la criminalité.

Une coordination européenne encore trop lente

Les autorités françaises ont classé plusieurs formes de nitazènes comme stupéfiants le 9 juillet 2024. Mais cette interdiction n’a pas empêché les premières victimes, ni limité les difficultés de détection. Les services douaniers croulent sous plus de 25 000 échantillons de drogues à analyser chaque année, et les dispositifs de réduction des risques peinent à suivre.

L’Agence européenne des drogues observe aussi une utilisation croissante des réseaux sociaux pour la vente de ces opioïdes, ce qui facilite leur dissémination rapide. En parallèle, la disponibilité de kits de naloxone, antidote des opioïdes, reste inégale selon les régions. Et parfois inefficace face à la puissance du nitazène, qui exige des doses plus élevées et répétées.

La menace n’est pas confinée à l’Europe. En Afrique de l’Ouest, les nitazènes sont l’un des composants du kush, drogue synthétique ayant poussé le Liberia et la Sierra Leone à déclarer l’état d’urgence. « C’est une préoccupation internationale. On les a détectés sur tous les continents. », alerte Adam Hollan, expert à l’université de Bristol.

Le risque d’une explosion est bien réel si les grands réseaux criminels s’en emparent. « si de grands groupes criminels comme la mafia albanaise, les groupes turcs, italiens ou mexicains se lancent dans l’approvisionnement massif en nitazènes en Europe, nous pouvons anticiper une catastrophe sanitaire majeure », avertit Vanda Felbab-Brown, experte au Brookings Institution. Et déjà, la criminalité organisée semble flairer cette opportunité : « il n’y a jamais eu de période aussi dangereuse pour consommer de la drogue », souligne l’agence nationale britannique de lutte contre la criminalité.