Premier roman et déjà, l’empreinte est reconnaissable. Dès les premières lignes, on retrouve son phrasé, sa patte unique. La langue du comédien, césar de la révélation masculine en 2024 pour sa prestation dans Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand est vive, gouailleuse, directe, expressive. Raphaël Quenard écrit comme il parle, mariant avec aisance formulations populaires et tournures plus travaillées. Ça fuse, ça joue des images comme des répliques, avec un plaisir évident à faire sonner les mots, à dépasser l’écrit pour le faire résonner aux oreilles du lecteur.
Une errance sans horizon
Derrière cette pensée qui coule et roule comme une cascade, se cache une histoire en apparence simple. Le narrateur, un jeune homme de moins de trente ans, s’ennuie, ressasse son existence morne, revient d’une tentative de suicide ratée. Sans plus rien attendre de la vie, déjà blasé de tout, il s’installe à Tataouine, dans une forme de routine, chez Liliane, une vieille dame, ancienne productrice de cinéma.
Vivant au jour le jour, sans but, il couche sur le papier le récit d’une vie — la sienne ou celle de son double fantasmé… qui sait ? Au fil des pages, se dessine le portrait d’un garçon à la marge, lucide autant que cynique, décidé à régler ses comptes avec une société dans laquelle il ne se reconnaît pas. Son choix est fait : il fera une victime par strate sociale, de l’aristocrate à la SDF. Presque toujours une femme.
Un rythme de polar noir
Le roman dévoile, page après page, l’histoire d’un enfant isérois devenu un implacable tueur en série. Chaque meurtre, plus atroce que le précédent, est décrit avec une précision froide et chirurgicale. Un chapitre, un meurtre, une fuite. On devine vite où cela mène, mais on suit quand même. La langue accroche. Les dialogues claquent. Quenard maîtrise le tempo.
C’est là que réside la force du livre : dans cette voix qu’on reconnaît instantanément, ce mélange de verve populaire et d’ironie mordante, ces portraits qui croquent en quelques mots les travers d’aujourd’hui. On rit, parfois malgré soi. On se laisse happer par un humour noir qui flirte avec le cynisme.
Quand la provocation s’émousse
Mais le charme se heurte à un malaise. Le tueur aligne les féminicides comme s’il s’agissait d’un jeu macabre. L’auteur justifie ses actes en expliquant qu’il s’en prend à ce qu’il aime le plus. L’argument ne suffit pas à dissiper l’impression de violence gratuite et de sexisme complaisant. La provocation jouissive finit par tourner sur elle-même et s’essouffle dans un geste qui oscille entre authenticité et concupiscence.
Court et nerveux, Clamser à Tataouine se lit d’une traite. Le style Quenard captive et s’impose insensiblement. Pourtant, une impression étrange persiste : on en sort partagé, entre le plaisir d’une écriture libre et l’inconfort d’un propos qui dérange.
Clamser à Tataouine de Raphaël Quenard
Éditions Flammarion
paru le 14 mai 2025
192 pages
prix conseillé 22 euros