La Marseillaise : Qu’est-ce que l’observatoire de la pauvreté de Marseille ?
Thomas Vaïsse : C’est parti du collectif Alerte, qui regroupe plusieurs grosses ONG marseillaises : Uriop, Action contre la faim, Médecins du monde, Secours catholique, Fondation pour le logement (ancien Abbé Pierre). Après le Covid, ils ont réalisé un rapport sur les manquements dans la prise en charge et la compréhension des pauvretés sur Marseille. Pendant plusieurs années, ils ont défendu l’intérêt et l’importance d’un observatoire qui permettrait de mettre à jour des formes de précarité non connues et de mieux les comprendre. En 2024, ils lancent une préfiguration qui est chargée de mener une enquête sur Marseille pour recueillir la parole des professionnels, comprendre leurs besoins et proposer une première monture de cet observatoire.
Quand vous dites professionnels, à qui faites-vous référence ?
T.V. : Justement, cela a été l’un des sujets de réflexion. Le but de ce travail était d’arriver à cibler ce qu’on estimait être des parties prenantes du travail de lutte ou de prise en charge des formes de pauvreté sur la ville. L’enjeu était par exemple d’arriver à donner la parole à des associations ou à des structures de petite taille, de quartier, qui sont souvent peu invitées dans les grandes réunions ou concertations.
C’est sur ce travail-là que vous avez participé ?
T.V. : Oui, ça a été mon domaine sur toute l’enquête. J’ai rencontré des centres sociaux, des collectifs de quartier, des associations de parents d’élèves, des structures de santé communautaire, des associations de locataires. Afin de penser les pauvretés dans leurs diverses formes, comme des phénomènes globaux qui ne sont pas liés juste à un problème d’accès à de la nourriture ou à des revenus suffisants.
Qu’avez-vous tiré de cette étude ?
T.V. : Nous avons vu une soixantaine d’acteurs pendant plusieurs mois. Les points de vue divergent, mais certains éléments ressortent quand même. D’abord, le fait que la précarité n’est pas qu’une question d’inégalité dans les revenus monétaires, mais aussi d’accès à la ville, à des services, à de l’emploi. Des situations qui s’aggravent selon l’isolement social, familial ou géographique des personnes. Puis, le constat qu’il y a des publics touchés par des formes croissantes de pauvreté. Ce qui revient, ce sont surtout les jeunes, les travailleurs, les personnes âgées et les femmes. Les quatre publics qui ressortent le plus des entretiens.
Ce sont de nouvelles formes de pauvreté ?
T.V. : Je suis toujours frileux à l’idée d’utiliser le terme « nouvelle », car ce sont des phénomènes qui existent depuis longtemps et que l’on a mis à jour ou qui sont réapparus. Exemple avec la précarisation de l’emploi, ce sont des formes qui existaient au XIXe ou au début du XXe siècle et qui ont été combattues avec la mise en place d’une sécurité sociale importante. Sécurité sociale détricotée depuis plusieurs dizaines d’années qui fait que la précarité de l’emploi revient. Pour les femmes, les personnes exilées, les jeunes, je ne sais pas si c’est forcément nouveau, en tout cas, les acteurs et les actrices sur le terrain le ressentent comme tel. Potentiellement, il y a même une arrivée plus importante de ces populations.