Sur sa terre natale, le souriant Juan Ignacio Brex aurait peut-être fini ingénieur ou architecte, comme ses frères. Pourtant, d’après ses propres mots, c’est bien le rôle du « mouton noir » de la famille qu’il a décidé d’endosser, en tentant d’embrasser une carrière de rugbyman.

Troisième enfant d’un papa ingénieur et d’une maman avocate, « Nacho » est né du côté de Buenos Aires, le 26 mai 1992, avec un ballon de rugby dans les mains. Père, frère, oncle ou cousins s’étaient essayés à la balle ovale avant lui. Et, logiquement, la tradition allait se perpétuer avec le petit Juan Ignacio. « J’ai commencé quand j’avais 4 ans, à San Cirano, rembobine le gaillard aux cheveux courts. C’est le club de ma vie, de mon cœur. »

Dans le pays de football qu’est l’Argentine, le jeune fait le choix du casque, du camphre et des straps: « Enfant, je jouais au foot et au rugby. Mais lorsque les matches ont commencé à se disputer le samedi, il fallait choisir… » Biberonné au poste d’arrière, puis replacé au centre à ses 17 ans, ses modèles d’alors sont Jason Robinson, Felipe Contepomi et Ma’a Nonu. Signe du destin, les deux derniers porteront les couleurs du RCT quelque temps plus tard tandis que « Nacho », lui, était encore très loin de la plus belle rade d’Europe.

24 ans… et toujours dans son petit club d’enfance

Car si le trois-quarts a déjà connu les sélections nationales U20, à VII et « B » de l’Argentine, il n’a, à 24 ans, toujours pas explosé à haut niveau. « C’était très difficile de jouer à VII mais ça m’a beaucoup aidé sur le travail individuel, tout en me donnant plus d’expérience. »

Il prend alors le pari de rejoindre une modeste formation de première division italienne: Viadana. C’est Ulises Gamboa, ex-joueur de San Cirano, qui le ramène en Lombardie. « Comme on dit chez moi, le train ne passe qu’une fois. Je me suis dit que je n’aurais peut-être plus cette opportunité, d’autant que je rêvais d’aller en Europe. »

Blessures, Masi et évolution

Il faudra dix-huit mois à l’Argentin pour faire son trou et éveiller l’attention de la plus grosse écurie du pays, le Benetton Trévise.

« J’étais un joueur différent à l’époque, reconnaît la recrue du RCT. J’étais un porteur de balle. Je jouais davantage les un contre un, j’essayais de trouver des trous pour moi. » Des blessures aux poignets – et la difficulté à faire des passes qui en découlait à la reprise – ainsi que la rencontre avec Andrea Masi (lire ci-contre) le poussent toutefois à développer sa technique individuelle. Jusqu’à devenir davantage « un animateur, qui essaye de trouver les espaces pour ses partenaires « . Alors qu’il approche de la trentaine, cette évolution plaît à l’équipe d’Italie. « J’avais le passeport grâce à mes grands-parents, qui étaient Siciliens, et j’avais déjà passé plusieurs années en Italie. Quand Franco Smith (l’ancien sélectionneur de La Nazionale, Ndlr) m’a appelé, je n’avais pas de doute. C’était mon ambition depuis mon arrivée. Il fallait juste que je joue avec l’équipe à VII durant le tournoi de qualification olympique (en 2019). »

Bientôt francophone?

Aujourd’hui, à 33 ans, Juan Ignacio Brex (1,89m; 98kg) cumule 46 capes et trois capitanats avec sa sélection d’adoption. Il estime avoir pleinement épousé son côté transalpin: « Mes deux enfants sont nés à Trévise. Quand mon fils a commencé à aller à l’école, pour l’aider, nous ne parlions qu’italien à la maison avec ma femme, elle aussi Argentine. »

Et maintenant que la petite famille s’est installée dans le Var (pour deux ans minimum), c’est dans la culture locale qu’elle devra baigner. Le néo-Toulonnais se donne d’ailleurs quatre mois pour parler un français correct. Avec toute la motivation d’un joueur ayant passé le cap du très haut niveau sur le tard, à force de persévérance.

Plus fort que jamais, malgré ses 33 ans. Voilà donc tout le paradoxe de ce centre italo-argentin qui assure avoir « l’impression d’être encore très jeune ». Il y a quand même pire, comme « mouton noir ».

« C’est un leader »

Environ deux ans après son départ de Trévise, Andrea Masi a donc retrouvé « Nacho » Brex au pied du mont Faron. Le technicien italien, en charge des trois-quarts du RCT, analyse l’arrivée de son compatriote: « Il y a toujours besoin de personnalités très importantes dans un groupe. Et Nacho est quelqu’un comme ça. Il est sympa dans la vie et c’est un leader, un joueur qui aime prendre ses responsabilités. Il était dans ce rôle à Trévise et il l’est avec l’Italie. »

S’il va selon lui « s’intégrer rapidement » au sein du collectif varois, le trois-quarts d’origine argentine devrait également apporter quelque chose de « différent » au centre du terrain. Celui-ci était largement occupé l’an dernier par le All Black Leicester Fainga’anuku, dans un style bien plus déménageur: « Ce n’est pas facile de remplacer Leicester dans son profil. Il va sûrement falloir que l’on joue un peu plus au ballon, qu’on le déplace peut-être davantage comparé aux deux dernières saisons. Et nous avons de bons joueurs dans ce registre-là. C’est le cas de Nacho, qui sait très bien faire jouer autour de lui. »

Et de poursuivre: « Avec son expérience, il peut nous apporter sur les choix, sur la gestion du momentum dans les matches. Il pourra d’ailleurs beaucoup aider notre numéro 10, et il est aussi très performant sur sa défense. » 

Abonné au Tournoi des six nations

Depuis sa première titularisation dans le Tournoi des six nations, le 6 février 2021, « Nacho » Brex (33 ans, 46 capes) n’a pas manqué un seul match de la Nazionale dans la compétition continentale, enchaînant 25 titularisations pour quatre essais. Au côté du jeune Tommaso Menoncello, le centre fait ainsi figure de titulaire indiscutable: « J’essaye juste de faire mon travail de manière constante et consistante, souffle l’intéressé. Et toujours avec le sourire. Peut-être que c’est ça, le secret! (rires) «