Il monte à cheval, parle fort, cite les poètes antiques et ne déteste pas se faire tirer le portrait en uniforme. Mais Theodore Roosevelt (1858-1919) ne fut pas qu’un Président haut en couleur. Son mandat à la Maison-Blanche (1901-1909) marque une inflexion décisive dans l’histoire politique des Etats-Unis : tournant progressiste à l’intérieur, virage impérialiste à l’extérieur.
Il reste comme celui qui a osé affronter les géants de l’économie privée et qui affirme haut et fort que l’Amérique doit jouer les gros bras dans les affaires du monde.
Lorsqu’il accède à la présidence en 1901, après l’assassinat de William McKinley (le héros de Donald Trump), « Teddy » a 42 ans. Il devient le plus jeune président de l’histoire des Etats-Unis. Et il n’a pas l’intention de faire de la figuration :
« La meilleure chose que vous puissiez faire est de prendre une bonne décision, la seconde meilleure chose est de prendre une mauvaise décision et la pire chose est de ne prendre aucune décision ! »
Faire peur à J.P. Morgan
Sa cible favorite ? Les trusts. Ces conglomérats industriels et financiers qui contrôlent des pans entiers de l’économie américaine à la fin du XIXe siècle, de l’acier au pétrole, en passant par le rail.
Le plus célèbre d’entre eux, la Northern Securities Company, est démantelé en 1904 par décision de la Cour suprême, à la demande du gouvernement Roosevelt. Une première. Le trust, créé par les magnats J.P. Morgan et James J. Hill, dominait le secteur ferroviaire dans le nord du pays. Roosevelt se félicitera de cette victoire et l’affirmera dans son style direct :
« Certains hommes riches, dont la vie est mauvaise et corrompue, sont les représentants d’une richesse prédatrice accumulée par toutes les formes d’inégalité, depuis l’oppression des salariés jusqu’aux méthodes déloyales visant à écraser la concurrence. »
Au total, plus de 40 procédures antitrust seront engagées sous son mandat, bien plus que sous ses prédécesseurs. Il n’est pas contre le Big Business par principe, mais contre l’abus de position dominante. Cette posture lui vaut le surnom de « trust buster », briseur de monopoles.
En canalisant la colère populaire contre les excès du capitalisme, Roosevelt préserve le système d’une possible révolte contre lui
Mais derrière l’image virile se cache une stratégie politique habile : en canalisant la colère populaire contre les excès du capitalisme, Roosevelt préserve le système tout en l’aménageant. Une manière de sauver le capitalisme d’une possible révolte contre lui.
Le gros bâton de la politique étrangère
Roosevelt n’est pas seulement un réformateur de l’économie américaine. Il est aussi un expansionniste convaincu, nourri d’un patriotisme musclé. Il considère que les Etats-Unis ont une mission civilisatrice à accomplir, surtout dans ce qu’il appelle les « pays faibles ». Sa maxime favorite ? « Speak softly and carry a big stick, you will go far » (« Parle doucement et porte un gros bâton, tu iras loin »).
C’est ainsi qu’en 1903, il soutient activement la sécession des indépendantistes du Panama vis-à-vis de la Colombie, afin d’y construire un canal stratégique. La manœuvre diplomatique est brutale, mais efficace. Les Etats-Unis obtiennent le contrôle d’une bande de territoire et commencent les travaux du canal de Panama, un chef-d’œuvre de géopolitique et d’ingénierie après l’échec français de Ferdinand de Lesseps. Les Etats-Unis établissent alors leur souveraineté sur la zone du canal dont la construction a fait au total plus de 20 000 morts.
Après l’occupation des Philippines par les Etats-Unis, Roosevelt joue les médiateurs entre la Russie et le Japon et reçoit, au passage, l’année suivante le prix Nobel de la paix
Roosevelt développe aussi la fameuse doctrine Monroe en y ajoutant son propre « corollaire » en 1904 : les Etats-Unis peuvent intervenir militairement dans tout pays latino-américain qui menacerait la stabilité de la région (Cuba, Venezuela, Porto Rico). Le Président républicain entend intervenir pour protéger les intérêts américains, et pour éviter que l’Europe n’y remette les pieds, notamment l’Allemagne.
Quant à l’Asie, il y marque aussi son territoire : après l’occupation des Philippines par les Etats-Unis dans la foulée de la guerre hispano-américaine de 1898, il joue en 1905 les médiateurs entre la Russie et le Japon et reçoit, au passage, l’année suivante le prix Nobel de la paix. Le même homme qui revendique le droit d’envoyer les Marines faire leur loi partout se voit salué comme un artisan de paix…
Un progressisme armé
Roosevelt est souvent présenté comme un progressiste. C’est vrai. Au début du siècle, le développement de l’industrie agroalimentaire américaine se fait à partir d’abattoirs aux conditions de travail et d’hygiène détestables, présentées dans le célèbre roman d’Upton Sinclair The Jungle (1906). Le Président défend plusieurs lois sur l’hygiène alimentaire, il développe l’inspection fédérale de la viande et jette les bases de la Food and Drug Administration.
Roosevelt n’est pas un socialiste, mais il reconnaît que les inégalités croissantes menacent la stabilité du pays. Il se pose en arbitre entre capital et travail.
En 1902, il intervient dans la grève des mineurs de Pennsylvanie et s’invente médiateur d’un conflit social. Il convoque patrons et syndicats à la Maison-Blanche et menace de nationaliser les mines si un accord n’est pas trouvé, accord qui se conclura avec des hausses de salaires et une réduction du temps de travail.
Il donne naissance au ministère du Travail pour collecter des données sur le monde du travail. Dans une loi de 1906, il rend les compagnies ferroviaires responsables des accidents de travail de leurs employés, une avancée importante.
Sous la présidence de Roosevelt, la surface des terres protégées triple aux Etats-Unis
Roosevelt s’impose également dans le champ de l’environnement. Une loi de 1906 lui donne le pouvoir de protéger des sites naturels ou historiques sans passer par le Congrès, il s’en sert pour créer des monuments nationaux, dont le Grand Canyon qui est alors une simple réserve.
Sous sa présidence, la surface des terres protégées triple aux Etats-Unis et il crée cinq parcs nationaux, 18 monuments nationaux, 150 forêts nationales, et 51 refuges pour oiseaux. Il donne également naissance à l’organisme fédéral chargé de gérer durablement les forêts publiques.
Teddy Roosevelt n’est pas un révolutionnaire, il s’agit d’amender le système capitaliste américain, pas de le renverser. Il veut une sorte de « capitalisme honnête » et, surtout, une Amérique forte. Il résumera plus tard sa vision ainsi :
« La richesse de chacun d’entre nous dépend fondamentalement de la richesse de tous. »
Derrière la modernisation interne, le rêve impérial d’une Amérique à la fois morale et dominatrice se dessine déjà.
Ce rêve n’a, depuis, jamais tout à fait quitté Washington, en particulier Donald Trump qui, malheureusement, n’a retenu de Theodore Roosevelt que la politique internationale agressive, oubliant les avancées sociales réalisées par son lointain prédécesseur.