Dans les bibliothèques de nos maisons de famille traînent des livres délaissés. Leurs auteurs furent célèbres, peut-être… Leur gloire a passé. Cet été, BV vous propose de découvrir quelques-uns de ces écrivains ou de ces livres.

Daphné du Maurier n’est pas à proprement parlé « oubliée » mais on n’en garde aujourd’hui que l’image qui plaît le mieux à notre société. Dans une biographie publiée en 2015, Manderley for ever, Tatiana de Rosnay n’omet pas d’évoquer sa potentielle bisexualité. Rebecca, personnage principal de son roman éponyme, est érigée par certains en héroïne LGBT, et on ne retient plus que ses œuvres adaptées au cinéma comme Ma cousine Rachel, Rebecca ou encore Les Oiseaux. Pourtant, ceux qui ont lu la plupart de ses œuvres savent que l’auteur britannique, née en 1907 et morte en 1989, mariée à un officier et mère de trois enfants, ne peut être réduite à cette image qui satisfait nos contemporains.

Lire Daphné du Maurier, c’est franchir le seuil d’une vieille maison…

Où chaque meuble, chaque odeur, chaque objet a été choisi, senti, touché par d’autres mains avant nous. Il y a dans tous les romans de Daphné du Maurier une maison qui entend encore la voix des absents, un paysage qui porte la mémoire des générations, un visage qui en rappelle d’autres qui l’ont précédé. On connait l’auteur pour ses intrigues sombres comme Rebecca, Les Oiseaux ou L’auberge de la Jamaïque mais ce qui transpire dans ses récits c’est la transmission, comme une force invisible qui traverse le temps et façonne les destins.
Son premier roman, paru en France en 1950, et qui rencontra un certain succès, donne le ton dès le commencement comme le résumait son titre initial : La Chaîne d’amour. Rebaptisé L’Amour dans l’âme, le récit décrit le lien entre quatre générations qui s’étalent sur un siècle dans un port sur la côte des Cornouailles. La mer devient un personnage, un bien qui se transmet et coule dans le sang des protagonistes qui se succèdent. Janet Coombe, l’héroïne et la mère du début du récit sent ce lien : « Quelque chose au-delà d’elle-même, un esprit ou une volonté, lui avait été transmis par ceux qui l’avaient précédée, la liant à la mer et aux navires ». Tout comme dans L’auberge de la Jamaïque d’ailleurs, où la lande de Cornouailles n’est pas qu’un décor mais un personnage qui impose ses lois sur ceux qui l’occupent et se le transmettent.

L’individu n’échappe pas au passé de ses ancêtres

L’héritage n’est pas seulement matériel, c’est un élan, une vocation, une part d’identité reçue et portée : « Le même sang qui avait coulé dans leurs veines coulait désormais dans les siennes, et il semblait qu’avec lui venaient leur désir, leur courage et leurs cœurs impatients ». Daphné du Maurier reprend l’histoire de ses ancêtres français à l’époque révolutionnaire dans Les souffleurs de verre. Elle y évoque le lien entre une mère et sa fille : « Les fils, même s’ils vivaient sous le même toit, avaient leurs propres préoccupations… mais une fille… restait toujours partie de la mère, […] les douleurs de la fille étaient celles que la mère avait elle-même connues. » Dans Le bouc émissaire, John, un Anglais solitaire, se voit piégé par Jean de Gué et forcé de prendre sa place et avec elle sa famille, son rang, et ses devoirs : une autre façon de voir la lignée, l’individu comme fruit du renouvellement des générations, comme maillon d’une chaîne de transmission que Zola ne renierait pas. Tout comme chez le naturaliste français, l’individu n’échappe pas au passé de ses ancêtres, mais aujourd’hui, cette façon de penser l’homme comme le produit d’un passé, comme le maillon d’une chaine, comme l’héritier des générations antérieures n’est pas à la mode : du passé, il faut faire table rase, l’homme ne doit vivre plus que pour lui et par lui.

Issue d’une famille d’artistes et de comédiens, Daphné du Maurier a grandi dans une atmosphère où l’héritage n’est pas qu’un mot, il se vit et il se transmet : il est partout dans ses œuvres. Sang, souvenir, passions, blessures, attachements, obsessions, inquiétudes, au-delà des manoirs embrumés et des héroïnes tourmentées, l’écrivain britannique tisse tout au long de son œuvre une fresque : celle des liens familiaux. Daphnée aurait pu comme Janet, un des maillons de la chaîne d’amour qui « sentait le poids de leur passé derrière elle, non comme un fardeau mais comme une main soutenant ses pas », le résumer en « famille oblige ».

Les ouvrages de Daphné du Maurier ont tous été édités en Livre de Poche et on les trouve assez facilement sur Internet.


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