Porte d’entrée de la prison de Toulon mitraillée à l’arme lourde cette nuit, voitures incendiées devant l’école de l’administration pénitentiaire la veille, véhicules et murs tagués… Depuis ce lundi 14 avril, au moins neuf attaques ont ciblé des centres pénitentiaires et des maisons d’arrêt. Dans le sud-est, à Aix-en-Provence, Marseille, Valence, Nîmes. Mais aussi à Villepinte et Nanterre en région parisienne, ou à Luynes (Indre-et-Loire). La Chancellerie parle « d’attaques coordonnées ».
Arrivé dans le Var ce mardi après-midi pour soutenir les agents du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, le ministre de la Justice Gérald Darmanin accuse les narcotrafiquants d’en être à l’origine. « Il y a une pression forte pour que l’État recule dans sa lutte contre le narcobanditisme, a martelé le Garde des sceaux devant l’enceinte, criblée d’une quinzaine de balles. C’est une mauvaise nouvelle pour la République. Mais peut-être aussi qu’on a touché là où ça fait mal, avec des mesures qui stressent le monde de la criminalité organisée. »
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« Une attaque coordonnée », mais par qui ?
S’agit-il donc de ripostes après les récentes annonces du Gardes des sceaux ? Ces dernières semaines, Gérald Darmanin a fait part de sa volonté d’isoler les trafiquants de drogue les plus dangereux dans des prisons de haute sécurité, de créer des unités modulables pour remédier à la surpopulation carcérale, ou encore de créer une police pénitentiaire. « Une enquête est en cours. Je ne sais pas si ces faits graves ont rapport avec l’action que nous menons contre le désordre en prison, ainsi que le nouveau régime carcéral qui vise à mettre fin à l’organisation des trafics depuis les cellules », a commenté le ministre de la Justice qui veut confisquer les téléphones portables des détenus, conservés illégalement.
Gérald Darmanin a également annoncé qu’avant les attaques de cette semaine, les établissements de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et de Condé-sur-Sarthe (Orne) – les deux futures prisons de haute sécurité – ont reçu « des menaces » : « Nous ne les avons pas rendues publiques. Les faits d’aujourd’hui montrent que le travail entrepris pour les protéger a poussé des personnes à agir ailleurs. Ces intimidations ne marchent pas. Ce régime de détention fait sans doute peur aux trafiquants, mais ils le doivent à un seul homme : Mohammed Amra. »
L’évasion organisée de ce trafiquant – interpellé en Roumanie en février dernier après une cavale de plusieurs mois – avait provoqué la mort de deux agents pénitentiaires au niveau d’un péage en Normandie en mai 2024.
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La piste d’un « groupuscule d’ultragauche »
Dans la matinée, Le Parisien a de son côté évoqué la piste d’un « groupuscule d’ultragauche ». Les enquêteurs ont analysé, selon nos confrères, un canal de l’application Telegram, sur lequel des messages appelaient à attaquer les prisons. Une hypothèse à relier à la mention « DDPF », taguée sur plusieurs véhicules autour des lieux ciblés et qui pourrait signifier « Droit des prisonniers français » ?
« On ne sait pas très bien ce que ça signifie, il n’y a pas eu de revendication, a constaté à ce sujet le ministre de la Justice Gérald Darmanin. Quand on lance des cocktails molotov sur des voitures d’agents, quand on tire à la kalachnikov sur une porte de prison, ça ressemble à ce que j’ai connu quand j’étais ministre de l’Intérieur. C’est-à-dire des gens payés quelques centaines ou milliers d’euros qui vont remplir des contrats pour intimider. »
Cet acronyme n’évoque rien aux différents spécialistes de la défense des droits des détenus contactés par Ouest-France, qui restent eux aussi prudents. Citée par l’AFP, une source proche du dossier précise que « toutes les hypothèses sont examinées », notamment « la piste anarchiste » sur la base de « la présence de slogans libertaires ».
Pourquoi l’antiterrorisme est saisi de l’enquête
Ce sera au parquet national antiterroriste de démêler tous ces éléments. Le « Pnat » s’est saisi de l’enquête à la mi-journée pour trois qualifications, notamment « association de malfaiteurs terroristes en vue de commettre des crimes ». Une saisine justifiée par la nature commune des différentes attaques « dont l’objectif est de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation », quel que soit « à ce stade le profil des suspects », explique une source proche du dossier à l’Agence France presse. Les investigations sont menées conjointement par la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (DCPJ), par les unités locales de la police nationale et par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI).
Les préfets, les casernes de gendarmerie et les commissariats de police ont, eux, reçu la consigne du ministère de l’Intérieur « de renforcer sans délai la protection des agents » et des lieux d’incarcération. « La réponse de l’État devra être implacable, a écrit le ministre Bruno Retailleau sur X. Ceux qui s’en prennent aux prisons et aux agents ont vocation à être enfermés dans ces prisons et surveillés par ces agents. »
Les syndicats dénoncent « des attaques lâches et odieuses »
Une annonce qui vise à rassurer les représentants des syndicats du milieu carcéral. Invités à participer au déplacement ministériel dans le Var, ces derniers s’inquiètent de ces « actes d’une gravité inouïe », comme l’écrit l’Ufap-Unsa. « À Nancy (Meurthe-et-Moselle), un collègue a été victime d’une intimidation à son domicile », affirme l’organisation syndicale dans un communiqué. « Ces attaques lâches et odieuses visent à terroriser celles et ceux qui incarnent l’autorité de l’État et assurent au quotidien la sécurité de tous », juge-t-il.
Pour éviter que de tels incidents ne se reproduisent et afin de garantir la sécurité des personnels, les syndicats réclament à l’avenir une présence systématique des forces de l’ordre aux prises et fins de service des agents pénitentiaires, un plan de sécurisation des domaines pénitentiaires, et la « réactivation de la note autorisant le stationnement des véhicules personnels » des gardiens à l’intérieur des enceintes. Enfin, ils demandent l’anonymisation judiciaire et administrative de leurs collègues.