Ils sont assis sous un panneau interdisant la musique et la consommation d’alcool. Bière dans une main, vieille cigarette roulée dans l’autre, ils discutent sans embêter personne, assis sur les bancs en béton de la dalle Kennedy. Sont-ils dans l’illégalité ? Pour la bière, oui. Mais pour l’attroupement ? Depuis le 26 février, la ville de Rennes interdit les « regroupements statiques » et « attroupements abusifs et prolongés » sur cette grande place piétonne située au milieu des tours de Villejean.
C’est sur cette dalle que des tirs d’arme à feu ont si souvent résonné, sur fond de guerre de territoire pour le trafic de stupéfiants. Au-delà des balles, c’est surtout l’ambiance qui y règne qui agace les habitants. « Je ne sors jamais après 17 heures. Le soir, ici, c’est n’importe quoi. Les gens boivent, fument, prennent de la drogue. On ne peut rien leur dire sans se faire insulter », témoigne une retraitée qui habite le quartier depuis plus de vingt ans. Pour tenter de mettre un terme à cette occupation de la dalle, la ville a donc pris un arrêté municipal interdisant les attroupements, comme elle l’avait fait en décembre pour la dalle du Colombier.
« Les gens s’insultent, crient, se tapent dessus »
En vigueur depuis un mois, le texte a-t-il permis d’améliorer la situation ? « Franchement, ça n’a rien changé. Ici, tout le monde s’en fout », répond cet homme âgé d’une soixantaine d’années en sortant du tabac. Dans son dos, un véhicule de police passe mais ne s’arrête pas. Personne n’a bougé et les canettes continuent d’être vidées. « Le soir, parfois, c’est n’importe quoi. Les gens s’insultent, ils crient, ils se tapent dessus. La police, elle vide parfois les bouteilles, mais c’est tout. Cet arrêté, on ne sait pas vraiment à quoi il sert. C’est quoi un regroupement ? On ne sait même pas », explique une autre retraitée. Même la police nationale ne semble pas avoir toutes les clés. « C’est assez flou comme texte. On ne sait même pas trop qui ça concerne », témoigne une gradée sous couvert d’anonymat.
Cet arrêté pose en effet pas mal de questions. A partir de quel moment l’attroupement est-il jugé « abusif » ? Le regroupement, c’est à partir de combien de personnes ? On aurait bien aimé poser les poser aux élus en charge de ces dossiers, mais la municipalité rennaise a préféré nous répondre par écrit : « L’objectif de cet arrêté est de renforcer les outils à la disposition de la police municipale et de la police nationale, afin de permettre aux habitants, aux commerçants, aux agents de nos services publics et à toutes celles et ceux qui empruntent la dalle Kennedy de s’y sentir en sécurité. Cet arrêté est un outil très ciblé, qui permet aux policiers d’être plus efficaces dans leurs interventions. Sa mise en œuvre fera l’objet d’une évaluation », assure l’équipe dirigée par Nathalie Appéré.
De la drogue, de l’alcool…
L’évaluation, nous avons tenté de la faire en interrogeant les habitués de la dalle du Colombier, espace commercial situé en plein centre-ville de Rennes. « Au début, on voyait beaucoup la police et ça semblait plutôt bien fonctionner. Mais ce n’est plus le cas. On a toujours des groupes de gens qui se réunissent là. Ils sont dix, vingt, trente, parfois cinquante. Ils sont souvent bourrés, accostent les gens, leur demandent de l’argent », témoignent les gérants d’une boutique d’optique située sur la dalle.
Mais qui sont-ils ? « Surtout des marginaux qui se posent là pour picoler, d’autres qui font la manche. C’est souvent les mêmes. Il y a aussi des gens sous crack. Tu les vois s’embrasser et la minute qui suit, ils sont en train de s’étrangler », assure le barman d’un café. L’entrée en vigueur de l’arrêté a-t-elle changé quelque chose ? « Absolument pas. Les zonards sont toujours là ».
En enlevant les arbres de cette ruelle menant sur la dalle du Colombier, la ville de Rennes a un peu réduit l’occupation des lieux. - C. Allain/ 20 Minutes
Une présence qui n’est pas vraiment de nature à rassurer les personnes qui habitent ou travaillent dans le secteur. Encore moins les clients. « Il y a toujours beaucoup de passage. Mais on a des gens qui n’osent plus venir, parce qu’ils ont peur d’être embêtés ». Sur ce point, l’arrêté n’a rien changé. La dalle, elle, sera prochainement transformée et requalifiée. Un programme d’urbanisme entamé il y a des années mais qui peine à se concrétiser.