Fut un temps où les Strasbourgeois étaient nombreux à déplorer le rachat par BlueCo de leur Racing bien-aimé, refusant catégoriquement de le voir devenir le petit cousin de Chelsea et le club annexe de Todd Boehly. Les pensionnaires de la Meinau craignaient la perte de leur identité, et surtout de revivre les années 2010 où le club était reparti de la CFA2. « Quand le club a été racheté, il y a une bulle qui a éclaté, avoue Maxime, porte-parole et vice-président des UB90. Le Strasbourg post-faillite était reparti du cinquième échelon et jusque-là, on a été protégé du football business et de ces histoires de gros sous. »
Les Anglais sont arrivés et ont fait ce qu’ils avaient commencé à Chelsea. Un grand ménage, en remerciant ou en vendant des anciennes gloires du RCSA comme Dimitri Liénard ou Habib Diallo, parti s’exiler en Arabie saoudite. Pas de quoi s’offrir les faveurs des Strasbourgeois, malgré l’arrivée de Patrick Vieira sur le banc qui n’aura pas fait grandement évoluer les choses lors de son passage alsacien. Non, l’heure du changement arrivera bien à partir de décembre dernier, sous l’ère Liam Rosenior, cet inconnu sorti d’Hull City. Un nom « 100% BlueCo », comme il était possible de lire sur les réseaux sociaux et qui faisait tout sauf l’unanimité. Du moins, à l’époque.
« Il ne faut pas croire que cette grève nous fait plaisir »
Des débuts difficiles et puis des résultats à partir de mi-décembre. Des succès à la pelle même, comme Strasbourg en avait rarement connu ces dernières années, si ce n’est lors de la saison 2021-2022 et cette 6e place grattée par l’équipe de Julien Stéphan. Les victoires n’ont pour autant pas calmé les ardeurs des Ultras Boys 90, qui avaient annoncé faire grève lors des quinze premières minutes de chaque match en début de saison dernière. Un mécontentement d’abord accepté par les autres habitués de la Meinau, puis rapidement critiqué, au fil des mois et des succès. « Il ne faut pas croire que cette grève nous fait plaisir, assure Maxime. On préférerait profiter du match mais on trouve que les valeurs du Racing ne sont plus en adéquation avec la réalité. Oui sur le terrain, ça se passe bien pour l’instant et nous ne remettons pas cela en cause. Mais se faire siffler par les supporters ou recevoir des jolis gestes, ça ne fait pas plaisir et ça fait mal. Ce qui les intéresse, c’est le sportif. Nous, on pense au-delà. Ce sont deux points de vue différents et on ne critique pas le leur. »
Une grève trop longue ? C’est ce que pensent certains, souvent emportés par le joli visage affiché par la bande à Rosenior et par l’excitation d’arracher une place européenne. « Les ultras ont raison de se méfier, mais je pense qu’il y a des moyens plus productifs pour faire entendre son mécontentement et son désaccord avec le système de la multipropriété, se désole Noah Kaision, qui tient le compte RCSA Forever sur X. Sans que cela n’empiète sur l’ambiance de la Meinau et sur le soutien de l’équipe. J’y adhère moins. » Chacun a son avis, son sentiment et s’est forcément posé face au dilemme et à cette question : l’identité du Racing peut-elle perdurer avec la multipropriété ? « Quand j’ai vu ça, j’ai compris la colère des supporters. Parce qu’à Strasbourg, tu n’es pas dans n’importe quel club, pose Anthony Gonçalves, milieu passé par le club entre 2016 et 2019. Ils ont forcément cette crainte de connaître à nouveau cette descente aux enfers et de repartir de tout en bas… Mais connaissant le président Keller et l’amour qu’il porte au club, je sais qu’il sait ce qu’il fait. Il a su reprendre le club pendant plus de dix ans et je ne pense pas qu’il l’aurait remis entre de mauvaises mains. C’est quelque chose qui est réfléchi, et c’est pour cela que je ne suis pas trop inquiet pour l’instant. »
Chelsea-Strasbourg, une route très empruntée
Depuis ce rachat en 2023, Strasbourg a complètement basculé dans une autre dimension. Pas seulement au niveau de son jeu que Rosenior a perfectionné à partir de son arrivée en 2024 en devenant l’un des projets les plus excitants de l’Hexagone, mais également financièrement. Entre 1906 et 2022, les Strasbourgeois n’avaient dépensé que 97 millions d’euros sur le marché des transferts. En trois ans, les choses ont (légèrement) changé. Le board strasbourgeois, composé des membres de la société BlueCo Alsace, est bien aidé financièrement par Chelsea. Aucune surprise jusqu’ici pour un équipage composé de cinq personnes dont les deux directeurs sportifs de Chelsea, Paul Winstanley et Laurence Stewart.
Au total, Strasbourg a recruté pour près de 224 millions d’euros en deux ans. Avec des réussites comme Emanuel Emegha ou Dilane Bakwa et des loupés, à l’image d’un Abakar Sylla acheté pour 20 patates et qui est aujourd’hui encore le transfert le plus cher de l’histoire du Racing. Cet été 2025 est encore la démonstration de force de BlueCo, avec ses 102 millions d’euros de dépenses, faisant des Alsaciens le deuxième club français le plus dépensier juste derrière le PSG, alors que le mercato n’est toujours pas terminé. Des deals avec Chelsea, bien sûr, mais aussi d’autres sortis de la cellule de recrutement de Grégory Thil, qui avait notamment ramené Abdukodir Khusanov à Lens. Maxi Oyedele, Valentin Barco ou Samuel Amo-Ameyaw font tous partis de ces petits blases rameutés en Alsace cet été.
Ce combat contre la multipropriété, on va le continuer cette saison.
Maxime, vice-président des UB90
Chelsea a brillé en Coupe du monde des clubs, Strasbourg a sorti une saison historique, mais les va-et-vient permanents entre l’Angleterre et la France questionnent forcément sur le contournement des règles et sur ce qu’est vraiment le Racing Club de Strasbourg. Une succursale ou un club destiné à s’imposer comme un cador de l’Hexagone ? Depuis Andrey Santos et Angelo il y a deux ans, ils sont huit à avoir fait le voyage Chelsea-Strasbourg (Mathis Amougou, Mike Penders, Diego Moreira, Ishé Samuels-Smith, Đorđe Petrović, Kendry Páez, Mamadou Sarr et Caleb Wiley)« Trois prêts et deux achats, c’est trop, prévient Noah du haut de ses 20 ans. Plein de bons jeunes joueurs sont à dénicher ailleurs qu’à Chelsea . »
Dans la durée, les temps seront peut-être plus compliqués, puisque les Blues souhaiteront rapatrier « leur pouponnière » en Angleterre, après l’avoir développée en Alsace, à l’image d’un Emegha qui devrait filer à Londres en 2026. « C’est là qu’on parle vulgairement de centre de formation de Chelsea, s’attriste le porte-parole des UB90. Aujourd’hui, la cellule de recrutement est à Londres. On se questionne surtout sur la nécessité de certains achats. Quand on voit que Ishé Samuels-Smith est acheté plus de 7 millions alors qu’il n’a pas fait un seul match en pro… »
Pour l’heure, le vestiaire polyglotte, qui vit au rythme des danses et de la musique, semble avoir gagné les faveurs de (quasiment) tout un public. « Jamais je n’ai vu une telle cohésion dans le vestiaire du Racing, sourit Noah, qui supporte Strasbourg depuis ses 5 ans. Les recrues, si ce n’est Sékou Mara, ont joué un rôle clé dans cette belle saison, même celles qui sont arrivées lors du mercato hivernal. » Les Strasbourgeois pourront redécouvrir les joies de l’Europe dans quelques semaines lors des barrages de la Ligue Conférence contre Brøndby ou le Vikingur Reykjavik. Un public conquis, des ultras anti-BlueCo jusqu’aux dents, la Meinau, tout juste rénovée, sera peut-être encore le théâtre d’affrontements pacifiques cette saison. « Ce combat contre la multipropriété, on va le continuer cette saison, conclut le vice-président des UB90. Que ce soit à la Meinau ou dans tous les stades de France. Comment ? Vous verrez. »
C’est quoi ce mercato de zinzin à Strasbourg ?