Donald Trump et Vladimir Poutine se retrouvent en Alaska pour une rencontre inédite, ce vendredi 15 août – la première visite du président russe sur le sol américain depuis 2015. « Je vais en Russie », a déclaré le président américain en évoquant sa rencontre avec son homologue russe. Une bourde qui n’en aurait pas été une il y a un siècle et demi, quand l’Alaska était effectivement russe.
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Lorsque l’avion de Vladimir Poutine se posera en Alaska, il y aura comme un sentiment de déjà‑vu. Sur le territoire désormais américain, les églises orthodoxes aux bulbes caractéristiques rappellent l’ancienne empreinte du tsar. Dans la ville de Sitka, l’ancienne Novo-Arkhangelsk, la cathédrale Saint-Michel dresse encore sa coupole verte face aux glaciers.
Fourrures, prêtres et monopole impérial
La Russie n’a pas conquis l’Alaska par les armes, mais par la fourrure. Au milieu du XVIIIe siècle, des marchands et aventuriers poussent à l’est, au-delà de la Sibérie, alléchés par l’or brun que sont les peaux de loutres de mer. Les premiers navires russes reviennent remplis de centaines de loutres de mer, de renards et d’otaries à fourrure. Les chasseurs sibériens sont impressionnés. Dans les années 1790, Catherine II autorise la création de la Compagnie russo-américaine, à laquelle elle octroie le monopole du commerce et de l’administration du territoire.
À LIRE AUSSI En Alaska, la bataille du pétrole est déclaréeAujourd’hui, l’Alaska et son pétrole valent des milliards. En revanche, à l’époque, ce grand espace où il fait froid n’emballe pas les Russes. Conserver ce territoire vaste est d’abord une charge. « Les Russes d’Alaska, dont le nombre ne dépassait pas 800 à leur apogée, étaient confrontés à la réalité d’être à l’autre bout du monde de Saint‑Pétersbourg, alors capitale de l’empire, ce qui faisait des communications un problème majeur », raconte William L. Iggiagruk Hensley, écrivain américain et spécialiste des autochtones d’Alaska, pour The Conversation.
Il ajoute : « Les Russes commencèrent à sérieusement se demander s’ils pouvaient maintenir leur colonie en Alaska. Tout d’abord, la colonie n’était plus rentable après la décimation de la population de loutres de mer. Ensuite, l’Alaska était difficile à défendre et la Russie manquait de liquidités en raison des coûts de la guerre de Crimée. » Mieux vaut vendre que perdre, se disent les Russes.
L’Alaska vendue pour 7,2 millions de dollars
En juillet 1867, Edouard de Stoeckl, envoyé russe à Washington et négociateur en chef de la cession, confie à un ami : « Mon traité a rencontré une forte opposition… Mais cela vient du fait que personne chez nous n’a idée de l’état réel de nos colonies. Il s’agissait simplement de les vendre, ou de les voir prises. » Finalement, le territoire est cédé pour 7,2 millions de dollars, le 30 mars 1867. Avec l’inflation, cela représenterait environ 140 millions de dollars actuels.
À l’époque, l’accord semble être un « win‑win ». La Russie peut récupérer du cash, se ménager un allié naissant de l’autre côté de l’Atlantique et éviter un bras de fer avec Londres. Et les États‑Unis ? « En Alaska, les Américains entrevoyaient un potentiel d’or, de fourrures et de pêche, ainsi qu’un développement des échanges commerciaux avec la Chine et le Japon. Ils craignaient que l’Angleterre ne tente d’établir une présence sur le territoire, et l’acquisition de l’Alaska, pensait‑on, aiderait les États‑Unis à devenir une puissance du Pacifique. De plus, le gouvernement était globalement en phase expansionniste », explique William L. Iggiagruk Hensley.
« Déserts de neige » ou affaire du siècle ?
Sur le moment, personne ne sabre vraiment le champagne. À Saint‑Pétersbourg, certains crient à l’humiliation : la colonie, certes périphérique et coûteuse, aurait été bradée. Le journal libéral Golos dénonce une vente « profondément irritante pour tous les vrais Russes » et s’indigne : « Le sentiment de fierté de la nation est‑il donc si peu digne d’attention qu’on puisse le sacrifier pour 6 ou 7 millions de dollars ? »
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De l’autre côté du Pacifique, le secrétaire d’État William H. Seward, artisan du traité, est moqué pour avoir dépensé une somme jugée extravagante dans un « désert gelé ». Le New York Daily Tribune réduit l’Alaska à « la possession nominale de déserts de neige infranchissables » et prévient : « Nous pouvons signer un traité avec la Russie, mais nous ne pouvons pas en signer un avec le Vent du Nord ni le Roi des Neiges. » Le New York World soupçonne même une supercherie : « La Russie nous a vendu une orange sucée. Quelle que soit la valeur de ce territoire pour nous et de ses îles dépendantes, il n’en a plus aucune pour la Russie. »
Depuis, les États‑Unis ont gagné des centaines de milliards de dollars grâce à l’huile de baleine, aux fourrures, au cuivre, à l’or, au bois, au poisson, au platine, au zinc, au plomb et, surtout, au pétrole. L’Alaska possède probablement encore des milliards de barils de réserves pétrolières. Un siècle et demi plus tard, voilà finalement l’une des plus belles affaires de l’Histoire.
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