En voyage commence dans la poussière d’argile. En Mésopotamie, au XIIIe siècle avant notre ère, des tablettes recensent déjà éclipses et mouvement planétaires, interprétés comme autant de signes politiques ou climatiques. Ce savoir s’enrichit et circule. Les Grecs cartographient les constellations, les savants arabes les reprennent, les traduisent, nomment les étoiles et perfectionnent les astrolabes.
L’un des joyaux de l’exposition incarne cet âge d’or scientifique : un astrolabe persan du XVIIIe siècle, chef-d’œuvre de précision scientifique et artistique. Le ciel devient une langue partagée, utilitaire et magique. « Jusqu’au XVIIe siècle, astrologie et astronomie fonctionnaient ensemble », rappelle Juliette Bessette, co-commissaire de l’exposition.
Le ciel ne se laisse pas confisquer par les savants
Dans les vitrines, le ciel se matérialise. Une fresque de Pompéi (Ier siècle), intitulée « Apollon cosmocrator », montre le dieu solaire tenant le globe céleste, comme s’il en dictait l’ordre. Non loin, un minuscule globe d’argent gravé – sans doute la plus ancienne sphère céleste connue – venu du lac de Van en Turquie, représente 48 constellations sur six centimètres. Un autre globe andalou daté du XIe siècle, plus imposant, figure 1 000 étoiles recensées par Ptolémée.
À ces objets rares répondent deux toiles majeures. « L’Astronome » de Vermeer, peint en 1668 et prêté par le Louvre, montre un érudit absorbé par l’étude d’un globe céleste, baigné d’une lumière presque divine. À côté, « L’Astronome » de Lucas Giordano (Naples, 1655) : même posture, mais l’astronome serre la sphère armillaire contre sa poitrine, comme une vérité intime. Le Mucem les met en regard, confrontant deux reflets d’un même désir : celui de lire le ciel.
Le ciel ne se laisse pas confisquer par les seuls savants. L’exposition accorde une place essentielle à la culture populaire. Contes, légendes, motifs décoratifs : on apprend comment le peuple a inscrit ses peurs, ses espoirs et ses récits dans les astres. Ici, une image d’Épinal illustre la Grande Ourse ; là, un almanach ancien dévoile les dictons météorologiques liés à l’apparition d’une étoile. « Observer les cycles réguliers des astres avait une fonction pratique – calendriers des récoltes, navigation maritime – mais le ciel était aussi un vaste terrain pour la poésie, la spiritualité et l’imaginaire ! », souligne Juliette Bessette. Deux robes brillent dans la pénombre : ce sont les mythiques costumes du Soleil et de la Lune portés par Catherine Deneuve dans Peau d’Âne (Jacques Demy, 1970). Ces robes « couleur du temps » semblent tissées dans un rêve ancien : porter le ciel sur soi, comme une étoffe magique.
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Un peu plus loin, la « Lune goguenarde » de Georges Méliès arbore un visage humain transpercé par une fusée. Plus loin, « L’Étoile du berger » dans un tableau de Camille Corot peint en 1864. Le ciel nocturne a toujours été un puissant stimulant de l’imaginaire. Victor Hugo, contemplant l’obscurité intérieure de l’âme humaine, écrivait que « ce qui fait la nuit en nous peut laisser en nous les étoiles ». De même, dans son ouvrage Que ma joie demeure, Jean Giono décrivait une nuit provençale où « les étoiles avaient éclaté comme de l’herbe, en touffes avec des racines d’or enfoncées dans les ténèbres ».
Les humains ne voient plus les étoiles
L’exposition explore aussi ces figures de l’ombre qui, du mage au voyant, ont cherché dans les astres un reflet des âmes. Ainsi du mystérieux Belline, voyant parisien du XXe siècle, dont le cabinet de voyance a été reconstitué. Cartes, pendule, étoile polaire en vitrine : tout ici évoque un ciel personnel, plus intime que scientifique, où les planètes s’alignent pour éclairer un destin. Le décor, à la fois kitsch et troublant, rappelle que lire le ciel a été aussi une affaire de croyance, comme si les étoiles, une fois mises en ordre, pouvaient répondre à nos doutes terrestres.
Un voyage teinté de mélancolie
Mais ce voyage est aussi teinté d’une mélancolie contemporaine. Et pour cause : à l’ère des mégalopoles, la plupart des humains ne voient plus les étoiles. Plus d’un tiers de la population mondiale ne distingue même plus la Voie lactée, noyée par la pollution lumineuse des villes. « La Méditerranée est l’une des zones du monde les plus affectées : toute cette riche histoire et ce rapport au ciel sont en train de s’effacer », s’inquiète Juliette Bessette. Le Mucem aborde frontalement ce sujet avec les photographies de Thierry Cohen, qui montrent à quoi ressembleraient nos nuits urbaines sans éclairage artificiel. Sur ces images, Paris, Marseille ou Venise retrouvent un ciel noir absolu zébré de milliards d’étoiles – un spectacle que Galilée lui-même aurait pu admirer lorsqu’il pointa sa lunette vers la Lune en 1610.
En mêlant science, croyance et imaginaire, l’exposition ravive une vieille intuition : le ciel ne se contemple pas, il se déchiffre. Tandis que la Nuit des étoiles nous incite à lever les yeux, le Mucem nous enseigne que chaque astre reflète une part de nos histoires terrestres. Les étoiles s’éloignent, la poésie demeure : « Le ciel tremblait […]. On ne savait pas de quoi. […] C’était tout simplement le ciel qui descendait jusqu’à toucher la terre. » De temps à autre, le ciel murmure à la terre : à nous de retrouver son langage.