Record absolu de température battu à Bordeaux, canicule prolongée… la surchauffe engendrée par l’aménagement urbain se révèle face aux fortes chaleurs du mois d’août, qui seront de plus en plus récurrentes avec le réchauffement climatique. En effet, la conception de la ville ne favorise pas le refroidissement à cause de la formation d’îlots de chaleur urbains.
Ce phénomène apparaît là où le bâti est dense et la végétation faible, entraînant des températures plus élevées qu’ailleurs et un risque accru pour la santé. La nuit, la chaleur absorbée tout au long de la journée dans le bâti et le bitume est restituée et empêche le refroidissement des rues. Selon Bordeaux Métropole, ces îlots représentent 177 km² dans l’agglomération, soit 30 % de sa surface. À partir de données fournies par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), « Sud Ouest » a pu étudier les zones les plus exposées à la formation d’îlots de chaleur au sein de la métropole bordelaise.
Inégalités climatiques
Selon nos calculs, 11 % de la population de la métropole de Bordeaux est exposée à un risque d’îlot de chaleur fort ou très fort, 14 % à un risque moyen et 73 % à risque faible ou variable. Sans surprise, c’est au cœur de Bordeaux que la sensibilité est la plus forte. Les quartiers du centre, aux rues fortement imperméabilisées et bordées d’immeubles compacts, ne favorisent pas la circulation de l’air. Ainsi, seulement un Bordelais sur trois vit dans des zones où le risque d’îlot de chaleur est faible ou variable.
Les plus précaires « n’ont pas les moyens de quitter les villes pendant les vagues de chaleur »
Cette surexposition à la chaleur affecte davantage les populations pauvres. À l’échelle de la métropole, un ménage pauvre sur cinq habite dans une zone où le risque d’îlot de chaleur est fort ou très fort. Le taux de pauvreté s’élève à 20 % en moyenne dans les zones où le risque d’îlot de chaleur est le plus prégnant, contre 14 % en moyenne dans l’ensemble de la métropole. À l’inverse, ce taux descend à 12 % là où l’habitat est le moins propice à la formation d’îlots de chaleur : il s’agit des zones périphériques où les maisons pavillonnaires sont majoritaires.
« L’histoire de la politique de la Ville fait que les plus pauvres ont été concentrés dans des habitats urbains souvent très denses », explique Frédéric Fresnard, chargé du projet Adapt’Canicules, qui aide les collectivités locales à identifier les inégalités face à la chaleur sur leur territoire. D’autant plus que les personnes les plus précaires « n’ont pas les moyens de quitter les villes pendant les vagues de chaleur » ou de « rafraîchir leur logement avec un système de climatisation », indique un rapport de la Banque de France dédié aux îlots de chaleur et inégalités urbaines datant de 2024.
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Quarante-trois degrés ce lundi 11 août. Quarante degrés attendus ce mardi 12 août. Depuis la semaine dernière, les températures ont dépassé de 2,7 degrés la moyenne saisonnière. L’écart sera donc accentué en ce début de semaine. Le réchauffement climatique n’est pas une prospective mais une réalité sur le terrain de la métropole bordelaise
Des populations plus fragiles
Ainsi, une multitude de facteurs peuvent se cumuler et accroître la fragilité de certaines populations à la chaleur, et ce, même si elles habitent dans des zones plus préservées des îlots de chaleur. « Aux mesures de température, on croise la sensibilité à la chaleur : les personnes âgées, les personnes vivant seules, les foyers monoparentaux, pauvres, la précarité énergétique, les enfants en bas âge… et aussi la capacité à faire face des populations : proximité des parcs, des services de santé, des commerces de proximité… » détaille Camille Forgeau, responsable à Bordeaux Métropole du projet « Métropole rafraîchissante », lancé en 2024, qui vise à lutter contre les îlots de chaleur, en tenant compte de ces inégalités pour déterminer la fragilité des populations.
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Prenons deux quartiers de Bordeaux : Caudéran et Bordeaux-Sud, qui comprend les zones de Saint-Michel ou des Capucins. Dans le premier, 3 % de la population vit dans des zones fortement exposées à l’effet d’îlot de chaleur urbain, contre 69 % pour le second. Les habitants de Bordeaux-Sud disposent de moins de ressources que ceux de Caudéran pour faire face à la chaleur. À Caudéran, les revenus sont plus élevés, et les propriétaires plus nombreux : plus d’un ménage sur deux à Caudéran, contre un peu moins d’un ménage sur quatre à Bordeaux-Sud.
Corollaires de cette précarité économique : les logements à Bordeaux-Sud sont aussi plus exigus et moins bien isolés qu’à Caudéran. Leurs habitants disposent d’en moyenne 10 mètres carrés de moins par personne dans leur lieu de vie, qui est à 32 % une passoire thermique, contre 17 % à Caudéran.
Si cette vue d’ensemble souligne les difficultés des zones les plus chaudes, elle ne rend pas compte de vulnérabilités localisées qui peuvent être repérées dans des zones où les logements sont moins exposés aux îlots de chaleur. « À Talence, on a une précarité par endroits liée à la population étudiante. Ou bien, dans des zones du Bouscat, on trouve des jardins individuels, parfois même des piscines… mais aussi une population plus âgée et un déficit d’espaces verts. Quand les gens sortent de chez eux, ils souffrent de la chaleur, car l’espace public est fortement minéralisé », explique Camille Forgeau.
Autre exemple, les habitants des quartiers prioritaires de la ville (QPV) comme Les Aubiers ou le Grand-Parc sont aussi particulièrement exposés en raison des difficultés économiques rencontrées par ses habitants, en plus d’un environnement souvent fortement bétonné. Selon Bordeaux Métropole, « 44 % des habitants des QPV ont accès à un espace vert à moins de 300 mètres, contre 56 % dans le reste de la métropole ».
« Prioriser les territoires les plus vulnérables »
Face à ces inégalités, le programme « Métropole rafraîchissante » doit permettre l’adaptation du territoire aux vagues de chaleur. Végétalisation, installation de voiles d’ombrages, de points d’eau… sur les 915 kilomètres où un besoin de rafraîchissement a été identifié, 62 % passent par les zones les plus fragiles socialement. « On ne peut pas agir partout, il faut donc prioriser les territoires les plus vulnérables », justifie Camille Forgeau.
Si très peu de nouveaux quartiers doivent sortir de terre, mis à part le projet de densification des portes métropolitaines, « les cahiers des charges des nouvelles constructions intègrent les cartes d’îlots de chaleur », affirme Camille Forgeau. Une préoccupation récente : « Ce n’était pas le cas il y a encore cinq ans. C’était pris en compte de façon marginale, pas comme un enjeu majeur. »
« Le nerf de la guerre, ce sont les moyens »
« Agir sur l’aménagement urbain et le cadre bâti ne suffit pas pour répondre à l’urgence climatique des populations, il faut aussi miser sur d’autres approches plus sociales et relationnelles », pointe Frédéric Fresnard. Face à des personnes âgées isolées, des familles précaires, parfois distantes des services publics, « il faut aussi miser sur les travailleurs sociaux, les relais de proximité, de médiation sociale pour prévenir les risques sanitaires liés à la chaleur ». Pour lutter contre les fortes températures, les commerces de proximité et bâtiments publics climatisés jouent un rôle clé : « Par exemple, la boulangerie est un lieu de refuge, qui permet de rompre l’isolement notamment des personnes âgées. »
« Agir sur l’aménagement urbain ne suffit pas, il faut aussi miser sur d’autres approches plus sociales et relationnelles »
Mais pour réaliser ces nombreuses actions, dans un contexte d’austérité budgétaire, « le nerf de la guerre, ce sont les moyens », concède Frédéric Fresnard. Déminéraliser, végétaliser des quartiers entiers, rénover des bâtiments… représente un poste de budget très important. « Rien que sur la végétalisation, on a encore un petit peu d’argent pour investir, mais on n’en a presque plus pour s’occuper de ces espaces. Il n’y a pas assez de jardiniers, de gens qui s’occupent des espaces verts », regrette Camille Forgeau. Adapter la ville pour la préparer à affronter des températures toujours plus élevées nécessite de « changer de paradigme » et de repenser de nombreuses politiques publiques. « C’est un peu vertigineux », admet Camille Forgeau.
Méthodologie
Pour cartographier les îlots de chaleur de Bordeaux Métropole, « Sud Ouest » s’est appuyé sur les zones climatiques locales (LCZ) définies par le Cerema. Ces données évaluent la sensibilité de l’aménagement urbain à la formation des îlots de chaleur : plus le bâti est dense, plus cette sensibilité est forte. Ces données ont ensuite été croisées avec les indicateurs socio-démographiques fournis par l’Insee dans le fichier Filosofi, datant de 2019. Sur des carrés de 200 mètres de côté, cette base de données renseigne le niveau de vie de ses habitants, la répartition par tranches d’âge, le nombre de ménages propriétaires… Comme ces carreaux ne correspondent pas au découpage géographique des LCZ établies par le Cerema, des approximations ont été nécessaires. Un indice d’îlot de chaleur a été calculé en pondérant la surface de chaque carreau recoupée par une zone LCZ. D’autres approches, via l’analyse directe de mesures de température, peuvent compléter les données du Cerema sur l’identification des îlots de chaleur.