La première impression était trompeuse. Quasi vide à notre arrivée, la station Lava Vence, en bordure de la route de Cagnes, se remplit en un clin d’œil, ce jeudi matin à Vence. Rouleaux, Kärcher: tout fonctionne.
À la régulière. Vence a beau être en alerte sécheresse renforcée depuis le 29 juillet, ce centre de lavage auto remplit les critères pour rester ouvert.
Les restrictions d’eau dans les Alpes-Maritimes? La plupart des clients les ignorent. À l’instar d’Anthony Canales, Vençois de 37 ans. « Je bosse à fond, donc les infos… » Ce menuisier est en train de laver son Peugeot Expert.
« Ils devraient l’afficher. Si j’avais vu un panneau, je ne serais pas venu. Mon véhicule n’était pas très sale… Même si je sais qu’ici, ils se sont équipés. »
Cédric Soum confirme. Deux étés plus tôt, le responsable de Lava avait dû fermer ses cinq centres sur la Côte d’Azur. Depuis, il les a dotés d‘un système de recyclage.
La préfecture impose un taux d’au moins 70% pour pouvoir fonctionner par temps de sécheresse.
« On est à 90%, sauf pour certains Kärcher. Un Kärcher, c’est 60 à 70 litres par véhicule. Un lavage au portique, 200. Mais quand un particulier lave sa voiture chez lui, c’est dramatique! Contrairement à nous, rien n’est recyclé, ni collecté. Surtout pas les 280g d’hydrocarbures par véhicule lavé… »
« Trop de flotte, puis trop chaud… Ça ne va jamais! »
Dans le quartier résidentiel de l’Ara à Vence, la piscine du grand-père d’Antonin fonctionne en circuit fermé. La pelouse, assoiffée, affiche une mine jaunie.
Photo Cyril Dodergny.
Cinq communes du bassin versant de la Cagne (Cagnes-sur-Mer, La Gaude, Saint-Jeannet, Saint-Paul-de-Vence et Vence, donc) étaient en alerte renforcée, avant même que le préfet n’élargisse la liste à 25 autres communes ce jeudi. Le lavage auto est l’un des secteurs visé par les restrictions. Même si, souligne Cédric Soum, il représente moins de 1% de la consommation.
« De la flotte, on en a pris pas mal cette année. Je ne pense pas que les nappes phréatiques soient à sec », s’étonne Eric, ferronnier de 54 ans établi à la Colle-sur-Loup.
Il rit jaune: « On avait trop de flotte, maintenant il fait trop chaud… Ça ne va jamais! » Souad, aide-soignante de 44 ans, a « conscience de la sécheresse. Mais ma voiture, je la lave tous les deux mois. Et à la maison, je ne laisse pas couler la douche. »
Vence encore, quelques kilomètres plus haut, dans le quartier résidentiel de l’Ara. L’info sur les restrictions d’eau est bien arrivée chez Federico, 76 ans.
Sa propriété dispose d’un jardin avec piscine, comme chez la plupart de ses voisins. Sa pelouse affiche une mine jaunie.
« Depuis une dizaine de jours, on n’arrose plus entre 8h et 20h, uniquement vers 21h, cinq minutes, deux ou trois fois par semaine. » Tant pis pour l’herbe verte, et même pour les tomates: « Elles sont desséchées, elles n’ont pas tenu. »
« Les mesures doivent être appliquées à tous »
Contraint de fermer lors d’une précédente crise, le centre Lava Vence s’est équipé depuis d’un système de recyclage adapté. Photo Cyril Dodergny.
À cette heure-là, le thermomètre affiche 31°C, celui de la jolie piscine 28,5°C. Et elle, alors? « Elle fonctionne en circuit fermé, c’est la même eau », explique Fady, le fils aîné de Federico. Il prend avec recul ces crises récurrentes.
« Il fait chaud sur la Côte d’Azur depuis des millénaires! Les mesures ne doivent pas être appliquées qu’aux petits particuliers, mais à tous: industriels, professionnels du tourisme… Il faut être cohérent pour arriver à un résultat. On est tous dans le même sac, non? Et on n’est pas sorti de l’auberge! »
Son frère Alan est venu de région parisienne, avec sa femme Adeline et leur fils Antonin. Adeline travaille justement dans… le domaine de l’eau et de la biodiversité. « On n’est pas dans une situation aussi critique qu’en 2022 », reconnaît-elle.
Mais les intenses chutes de pluie du printemps étaient un trompe l’œil, balayé par les fortes chaleurs. Adeline invite à s’en rendre compte sur https://vigieau.gouv.fr/
« Le printemps n’est pas la saison où les nappes se rechargent le plus. C’est plutôt l’automne… »
En Ariège où il vit, Fady est spécialiste en construction en terre crue. Il appelle à des « mesures créatives » pour mieux s’adapter.
« L’État pourrait subventionner l’installation de cuves enterrées afin de récupérer les eaux de pluie. Voyez les toits des maisons: imaginez les millions de mètres cubes que cela représente! Et ainsi, on crée une économie. Tout le monde est gagnant. »
Fontaines « à débit réduit »
Vence toujours, côté vieille ville cette fois-ci. Une douce mélopée nous accueille dans les ruelles pavées. Passé la porte du Peyra, la fontaine du même nom joue de ses quatre jets d’eau.
Deux autres proposent de l’eau potable, juste à côté. Alain vient y recharger sa bouteille plastique. Il n’est pas surpris de voir ces fontaines actives.
« On m’a dit qu’il y avait quatre sources, et qu’il n’y avait jamais de problème avec celle de la Foux. Les autres fontaines de la ville fonctionnent avec un bouton pressoir. Et ici, ils ont réduit le débit. »
Place du Grand Pin, sur le stand de La ferme d’Anabelle, la maraîchère déplore l’impact de la sécheresse sur les légumes. Photo Cyril Dodergny.
Un couple de sexagénaires vient se rafraîchir. Jean-Yves et Martine viennent chaque année du Val d’Oise, fidèles à Vence.
Ils ont connu « l’année où la fontaine était complètement à l’arrêt. C’était d’une tristesse! Là, on est contents. L’eau qui coule, c’est la vie… »
Consciente des enjeux, Martine précise aussitôt: « Je ne suis pas une gaspilleuse. Je suis de l’ancienne école. J’ai une grande baignoire, et je ne l’ai jamais remplie. »
Place du Grand Pin, la fontaine alimentée par la Foux coule toujours, elle aussi. Anabelle, de la ferme du même nom, a installé son stand juste en face. La maraîchère vençoise se lamente: « On n’a plus de tomates, plus de courgettes! Il fait trop chaud, même la nuit. Ce n’est pas bon pour les légumes – ni pour nous, d’ailleurs. Ça fait trente ans que je fais le marché, je n’ai jamais vu ça. »
Son étal propose bien quelques tomates cœur de bœuf, et des Marmande trop dures à son goût. L’arrosage au goutte à goutte, qui reste autorisé, ne suffit pas à ses yeux.
« Les plantes prennent aussi par la feuille… » Une cliente s’approche. Elle n’a « plus de liquide », une phrase bien de saison. Anabelle plaisante: « Je vais te la faire payer combien la tomate? Bientôt, ça va valoir de l’or! »
Photo Cyril Dodergny.