Il y a d’ailleurs eu une version américaine, à laquelle la vôtre a été comparée dans un texte universitaire.

Ce travail me tenait tant à cœur que je n’ai pas eu le courage d’aller lire ce que l’autre traductrice a pu faire. Pourtant, je défends tout à fait l’idée que plusieurs femmes puissent produire des ouvrages similaires, à rebours d’une logique capitaliste et patriarcale qui voudrait nous monter les unes contre les autres. Ce qui est drôle, c’est que ma version a été jugée comme très britannique, alors que je suis américaine… J’imagine que mes études, qui portaient sur la littérature anglaise du XIVème siècle, ont fait de moi la candidate idéale pour les éditions anglaises.

À ce propos, un mot qui est beaucoup revenu au cours de la discussion du club littéraire organisé par Miu Miu est “girlhood”, qui n’a pas de traduction en français.

C’est vrai… On pourrait parler de l’état d’être une fille. Une période de vie. Un état d’être !

À la publication des Inséparables, le philosophe Paul B. Preciado a écrit un article dans Libération, intitulé “La deuxième sexualité de Simone de Beauvoir”. Il y présente la relation d’Andrée et Sylvie comme une relation lesbienne. Vous préférez le mot queer.

En effet ! C’est depuis devenu un ami, mais à l’époque, on ne se connaissait pas encore. On n’a donc jamais échangé sur ce texte. Il a évidemment des raisons politiques de tenir ces constats. Il n’a pas tort, même s’il l’exprime d’une manière plus forte que je n’aurais osé le faire. Mais il a tous les droits de le faire : il a vécu des relations lesbiennes. Il est bien plus impliqué que moi, qui suis dans une relation hétérosexuelle.

Lors de sa sortie, Les Inséparables rouvre une discussion sur la frontière poreuse entre la réalité et la fiction. L’ouvrage, dans certaines éditions, a été publié avec des lettres et des photographies de Simone de Beauvoir et Élisabeth Lacoin – à l’encontre de la volonté de l’autrice qui présentait ce texte comme pure fiction. Qu’en pensez-vous ?

À vrai dire, ça ne me pose pas de problème particulier. Je pense que c’est intéressant d’avoir ces éléments, d’un point de vue documentaire. Et puis, difficile de nier que Les Inséparables porte sur sa vie ! Ce n’est pas la seule fois qu’elle met en scène sa relation avec Zaza. Je pense à Mémoires d’une jeune fille rangée, où elle le fait sous la forme autographique. C’est d’ailleurs intéressant de comparer le traitement de cette amitié entre les deux livres. Il y a des passages entiers qui sont identiques ! Pas seulement similaires, identiques ! À mon avis, pour Simone de Beauvoir, leur relation allait au-delà des toutes les conventions. D’ailleurs, j’aime qu’en France la frontière soit si floue entre la fiction et la non-fiction. Je pense notamment à Neige Sinno, que j’ai rencontrée récemment et qui raconte dans Triste Tigre ce qui lui est arrivé entre 7 et 14 ans. Et elle a gagné le prix Femina ! J’apprécie qu’en France on dise que l’on publie des livres, plus que la fiction ou autre. Ça m’a beaucoup influencée dans mon écriture. Moi non plus, je n’aime pas trancher entre les genres. C’est plus intéressant que de les envisager comme un tout, un continuum.

Neige Sinno – Triste Tigre

En parlant de continuum… peut-on envisager la relation entre Andrée et Sylvie sous l’aune du continuum lesbien, théorisé par Adrienne Rich dans La contrainte à l’hétérosexualité ?