Freiheit für Nanuk / lundi 4 août 2025

L’intervention de Nanuk pour la manifestation en souvenir de Ferhat Mayouf*.

Prison de Moabit, le 31 décembre 2024

Depuis maintenant plus de 250 jours, je me trouve à la maison d’arrêt de Moabit [à Berlin – pour son arrestation, voir ici ; NdAtt.] et, après neuf mois de détention préventive, le début de mon procès n’est toujours pas en vue.

L’accusation est, actuellement, de coups et blessures graves, contre des néonazis militants, ainsi que de soutien à une association de malfaiteurs. Un autre procès « Antifa Ost » doit se tenir à Dresde, sous les lumières des médias, contre moi-même et six autres antifascistes accusé.es.

En taule, j’ai été soumis dès le début à des conditions de sécurité renforcées, ce qui, ces derniers mois, m’a empêché de participer aux activités sportives ou collectives. L’accès aux consultations médicales aussi était rendu plus difficile. Entre-temps, une partie des restrictions a été assouplie, ce qui facilite surtout le travail des matons, mais comme-ça je peux aussi participer au sport ou à des groupes de temps libre. Bien que j’aie le droit d’aller en promenade avec d’autres prisonniers, j’ai toujours l’interdiction de faire la sortie quotidienne aux salles de service, où les prisonniers prennent leur douche, utilisent les frigos ou tout simplement passent ensemble l’heure et demie de temps libre. La raison est que je suis un extrémiste, indépendamment du fait que, pour les personnes en détention préventive, vaut la présomption d’innocence. Des membres de l’ainsi-dit État islamique, qui ont été condamnés à de longues peines de prison, aussi pour des actes de violence commis pendant leur détention, ne sont que partiellement concernés par ces mesures de sécurité. Ils sont autorisés à travailler et peuvent aller aux salles de service.
Le traitement de mon courrier est aussi, toujours, un problème. Ainsi, le courrier disparaît et il s’entasse pendant des mois dans les bureaux de la prison, il est contrôlé par le procureur seulement des semaines plus tard ou il ne m’est tout simplement pas remis.

Pendant les mois de ma détention, j’ai dû assister à l’arbitraire et à la discrimination, de la part de certains matons. Aussi merdique que soit la situation générale en prison, je suis très privilégié, ici à la maison d’arrêt, en tant qu’homme blanc cisgenre avec une biographie allemande.
Les prisonniers sans la nationalité allemande, sans connaissance suffisante de la langue allemande, en crise psychologique, ainsi que les personnes avec des expériences de vie traumatisantes ou souffrant d’addictions représentent plus de la moitié des détenus de la maison d’arrêt. Beaucoup de détenus ont des cicatrices sur leurs bras, à cause d’automutilations, qui sont souvent les témoins muets de leurs parcours de vie parsemés de traumatismes.

Ces détenus sociaux sont souvent victimes d’agressions de la part des matons, qui vont des insultes, du fait de les ignorer et de les priver de leurs droits, jusqu’à une violence physique massive. La taule est une situation psychologique exceptionnelle pour tou.tes les prisonnier.es, coupés de tous leurs liens sociaux familiers, comme la famille et les ami.es, seul.es pendant des heures dans une cellule de huit mètres carrés, avec l’incertitude, la peur et la colère.

Pour certains des prisonniers, la prison est si pénible qu’ils frappent pendant des heures contre les portes de leurs cellules, crient sans cesse ou se blessent. Ils n’ont pas leur place dans une maison d’arrêt, sans aide psychiatrique, et pourtant ils sont simplement enfermés avec tous les autres détenus. Cela ne fait que les traumatiser à nouveau et affecter psychologiquement les autres. Le manque de personnel, en ce qui concerne les assistant.es sociaux.les, les psychologues et les matons, aggrave aussi cette situation, en taule. Lorsqu’ils ont à faire à des prisonniers avec des crises psychologiques, les matons semblent souvent dépassés.

Pendant ma détention, il y a eu plusieurs cas de tentative de suicide ou de menace de le faire. Une cellule a aussi brûlé et, malheureusement, il y a eu aussi un suicide.
Par désespoir, un prisonnier s’est mis un couteau sous la gorge, lorsque nous étions ensemble dans la cour de promenade. Il a menacé de se suicider devant les matons, avant qu’ils ne le maîtrisent à dix contre un.

Dans la nuit du 10 juin 2025, nous avons été réveillés par un prisonnier qui criait de la fenêtre de sa cellule. Il avait découvert une cellule en feu, dans le bâtiment en face. Ensemble, nous avons essayé d’alerter les matons, en criant, en frappant contre les portes des cellules et en actionnant les alarmes d’urgence dans les cellules, mais sans réaction de leur part.

Pendant ce temps, un prisonnier était au téléphone avec sa famille à l’extérieur de la taule, qui a immédiatement informé les pompiers, car pendant plus de quinze minutes il n’y avait pas eu de réactions, de la part des matons, à nos appels à l’aide. Après vingt minutes, les pompiers et les ambulances sont arrivés. Entre-temps, les flammes sortaient de la fenêtre de la cellule, brisée par la chaleur. La deuxième pièce de la cellule collective a elle aussi pris feu. D’après ce que j’ai pu en savoir, les deux prisonniers ont été rapidement sortis de leur cellule double par les matons. Par précaution, d’autres prisonniers ont été évacués des cellules voisines, pendant l’incendie. Il n’y aurait pas eu de blessés graves et les matons ont réagi rapidement, heureusement. De tels incidents se produisent régulièrement dans les prisons et pas seulement dans des États autoritaires comme la Russie, la Turquie ou la Hongrie. Là, les situations d’arbitraire et de violence auxquelles sont soumis.es les prisonnier.es sont bien pires. Ainsi, l’antifasciste Maja a entamé une grève de la faim, en juin, pour obtenir de meilleures conditions de détention et un transfert vers l’Allemagne. Ici à Berlin, aussi, Andreas Krebs a refusé toute nourriture pendant plus de trente jour, dans la maison d’arrêt de Tegel, pour attirer l’attention sur ses conditions de détention.

Alors que des personnes sont emprisonnées parce qu’elles n’ont pas de passeport allemand, parce que, par nécessité, elles commettent de petits vols ou n’ont tout simplement pas d’argent pour des billets de train, des escrocs qui ont volé de milliards, comme dans les affaires « CumEx » et « Wirecard », reçoivent des peines avec sursis ou des dispenses d’exécution de la peine. Ce système judiciaire punit donc la pauvreté, et nous, en tant que société, devons trouver une réponse large et solidaire pour résoudre les problèmes sociaux, au lieu de criminaliser les personnes qui sont poussées aux marges de la société. Et même en taule, il y a de la place pour la solidarité réciproque, qui est beaucoup plus forte et répandue que je ne l’aurais pensé avant de l’avoir vécue moi-même. Cela m’a donné beaucoup de force et de courage, ici en taule.

Pour une société libérée et aussi sans taules
Take care,

Nanuk

 

Note d’Attaque : fin juin 2020, Ferhat Mayouf, un Algérien de 36 ans, a été arrêté pour vol et placé en détention préventive à la prison de Moabit, parce que clandestin. Il a été tabassé par des matons et a essayé de se suicider. En conséquence, il a été placé à l’isolement. Le 23 juillet 2020, un incendie s’est déclaré dans sa cellule. Ferhat a appelé à l’aide, mais les matons n’ont pas ouvert la porte avant l’arrivée des pompiers. Entre-temps, Ferhat est mort étouffé par les fumées. Le 23 juillet dernier, comme tous les ans depuis, une manifestation est allée devant Moabit, pour se souvenir de lui et des autres personnes mortes de prison (voir l’appel ici).


Source: Attaque.noblogs.org