Tout était prêt. L’Europe n’avait plus qu’à appuyer sur le bouton pour durcir progressivement sa réglementation sur les émissions de méthane. En actionnant ce levier dès cette année, elle pensait pouvoir mieux contrôler l’empreinte carbone de ses fournisseurs d’énergie, même ceux basés à l’étranger.
Hélas ! pour le Vieux Continent, les aléas géopolitiques ont tout bouleversé. Afin d’éviter une guerre commerciale délétère, l’Europe a accepté fin juillet d’acheter du gaz naturel liquéfié (GNL) et du pétrole américain à hauteur de 750 milliards de dollars sur trois ans. Un engagement peu compatible avec sa nouvelle réglementation, car l’extraction et le transport des énergies fossiles génèrent des fuites importantes de méthane. « Les livraisons de GNL par bateau accentuent le problème. Il faut liquéfier le gaz puis le regazéifier en bout de chaîne », précise François Gemenne, professeur à HEC et membre du Giec.
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« Au cours des cinq prochaines années, la législation européenne prévoit de mesurer, déclarer et vérifier les émissions de méthane », précise Brandon Locke, expert chez Clean Air Task Force, une ONG qui promeut les énergies bas carbone, y compris le nucléaire. Or les producteurs américains font face à plusieurs écueils. « Outre-Atlantique, il est impossible de tracer le gaz entre les lieux d’extraction et les terminaux d’exportation : le réseau d’acheminement est trop vaste et trop complexe. Même s’il était possible de contrôler de manière fiable l’intensité en méthane du GNL américain, celui-ci ne serait probablement pas conforme aux normes fixées par Bruxelles en raison des nombreuses fuites » résume Lorne Stockman, codirecteur de la recherche chez Oil Change International, un organisme de recherche opposé aux énergies fossiles.
Lobbying intense
Aux Etats-Unis, aucune réglementation ne demande au secteur pétrolier et gazier de suivre ses émissions de méthane. C’est pourquoi l’industrie et le gouvernement américains cherchent à obtenir des dérogations en Europe. En coulisses, les pressions sur Bruxelles s’accentuent. Les analystes d’InfluenceMap – une plateforme visant à répertorier les efforts des entreprises en faveur du climat – observent une recrudescence des actions de lobbying au cours du premier semestre 2025. Un travail de sape, à la hauteur des enjeux financiers.
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« Une grande partie de la capacité d’exportation de GNL des Etats-Unis est actuellement en construction. Une fois achevée, elle permettra de quasiment doubler les volumes échangés par rapport à 2024. Cependant, ces investissements nécessitent plusieurs décennies d’exploitation avant d’être rentabilisés », détaille Lorne Stockman.
Ce n’est donc pas le moment, estiment les Américains, d’être exclus du marché européen pour de triviales raisons réglementaires. « L’industrie pétrolière et gazière observe avec intérêt le détricotage de certaines mesures écologiques en Europe. Elle part du principe qu’en exerçant une pression suffisante, la réglementation sur le méthane pourrait faire elle aussi l’objet d’un assouplissement » explique Vivek Parekh, chargé des énergies fossiles chez InfluenceMap.
Une erreur stratégique
L’Europe résistera-t-elle ? L’expert veut y croire. Après tout, ce sont les entreprises, et pas les Etats, qui déterminent le volume de GNL importé. Et celui-ci sera sans doute moins important que ce qu’annonce Donald Trump. L’Europe aurait donc les moyens de ménager la chèvre et le chou.
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François Gemenne tempère : « Nous sommes en mauvaise posture. Nous avons donné à Donald Trump un droit de regard sur la politique européenne. Dans un futur proche, le président américain pourrait très bien nous expliquer qu’en raison de sa législation sur le méthane, l’Europe n’importe pas assez de GNL américain et qu’elle contrevient aux termes de l’accord commercial passé fin juillet. » La menace d’une augmentation des droits de douane reviendrait alors aussitôt. « De la même manière, Donald Trump pourrait nous expliquer que l’on développe trop les énergies renouvelables, au détriment des importations de GNL. Là encore, ce serait l’occasion pour lui d’instaurer un nouveau bras de fer commercial », poursuit l’expert.
Qu’elle cède sur le GNL, les émissions de méthane ou les droits de douane, l’Europe sort perdante. « En liant les questions énergétiques aux dossiers commerciaux, l’Union européenne a commis une erreur. Elle a donné à Donald Trump un instrument de chantage très fort sur nos politiques publiques en matière d’énergie », estime François Gemenne. Il est urgent d’en tirer les leçons.
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