Une nouvelle étude
révèle que nos souvenirs de lieux familiers ne sont pas stockés de
manière fixe dans notre cerveau, contrairement à ce que pensaient
les scientifiques depuis 50 ans. Les neurones qui codent ces
informations spatiales « dérivent » constamment,
transportant nos cartes mentales d’un réseau neuronal à un autre.
Cette découverte majeure bouleverse notre compréhension de la
mémoire et ouvre des perspectives inédites pour lutter contre son
déclin lié à l’âge.
La chute
d’un dogme scientifique
Pendant des décennies, la
communauté scientifique était convaincue d’avoir percé le mystère
de notre navigation mentale. Dans l’hippocampe, une région cruciale
pour la mémoire, des « cellules de lieu » spécialisées
étaient censées créer une carte mentale stable de notre
environnement. Chaque lieu familier possédait ses neurones dédiés,
s’activant fidèlement à chaque visite comme des phares immuables
dans l’océan de notre conscience.
Cette vision rassurante
s’est fracassée en 2013 lorsqu’une étude révolutionnaire a observé
que ces prétendues cartes mentales fluctuaient constamment. Les
neuroscientifiques ont alors découvert un phénomène perturbant : la
« dérive représentationnelle hippocampique », où nos
souvenirs de lieux migrent littéralement d’un groupe de neurones à
un autre.
L’expérience qui change tout
Daniel Dombeck et son
équipe de l’Université Northwestern ont voulu trancher
définitivement cette controverse. Leur approche ? Créer
l’environnement le plus contrôlé possible grâce à la réalité
virtuelle. Des souris ont été placées sur des tapis roulants face à
des écrans, naviguant dans un labyrinthe virtuel identique à chaque
session.
Les chercheurs ont poussé
le contrôle à l’extrême : même odeur diffusée dans un cône placé
sur le museau de chaque animal, bruit blanc constant, vitesse de
déplacement identique. Pendant ce temps, une fenêtre ouverte dans
le crâne des souris permettait d’observer en temps réel l’activité
de leurs neurones grâce à des marqueurs fluorescents.
Dombeck était persuadé que
ce contrôle parfait stabiliserait enfin les cartes mentales. Il
avait tort.
La mémoire
nomade
Les résultats, publiés
dans Nature
Neuroscience, ont confirmé l’impensable : nos
souvenirs spatiaux sont en perpétuel mouvement. Seuls 5 à 10% des
neurones observés se comportaient comme des cellules de lieu
traditionnelles, s’activant de manière constante pour des endroits
précis. Ces rares cellules stables partageaient une caractéristique
commune : une excitabilité élevée, les rendant plus réactives aux
stimuli.
À l’inverse, les neurones
moins excitables montraient une dérive constante, changeant leur
« spécialisation » spatiale au fil des jours. Cette
découverte révèle que notre cerveau ne stocke pas les lieux comme
des coordonnées GPS figées, mais plutôt comme des souvenirs
fluides, constamment réécrits.
Pourquoi
notre cerveau sabote-t-il nos cartes mentales ?
Cette instabilité
apparente cache en réalité une intelligence remarquable. Dombeck
propose que cette dérive serve à distinguer nos différentes visites
d’un même lieu. Grâce à cette « mise à jour » neuronale,
votre cerveau peut séparer votre déjeuner d’hier au restaurant de
celui d’aujourd’hui, créant des souvenirs épisodiques distincts
plutôt qu’une masse confuse d’expériences similaires.
La dérive fonctionnerait
ainsi comme une horloge biologique, permettant au cerveau de
marquer le passage du temps et d’organiser nos expériences en
chapitres distincts de notre histoire personnelle.
Crédit :
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Crédits : metamorworks/istockLes
implications vertigineuses
Cette recherche éclaire
d’un jour nouveau les mystères du vieillissement cérébral. Avec
l’âge, nos neurones perdent leur excitabilité, ce qui pourrait
expliquer pourquoi nos souvenirs deviennent moins précis et plus
confus. Si les quelques cellules stables qui ancrent nos souvenirs
perdent leur réactivité, c’est tout notre système de navigation
mentale qui s’effrite.
Cette compréhension ouvre
des perspectives thérapeutiques fascinantes. Dombeck spécule qu’en
maintenant ou en restaurant l’excitabilité neuronale, nous
pourrions préserver nos capacités mnésiques face au temps qui
passe.
Un cerveau
plus complexe que prévu
Bien que menée sur des
souris, cette étude révèle probablement un mécanisme universel chez
les mammifères. Elle nous rappelle que notre cerveau, loin d’être
un disque dur biologique stockant des données fixes, ressemble
plutôt à un système dynamique en perpétuelle réorganisation.
Chaque jour, sans que nous
en ayons conscience, notre cerveau réécrit l’histoire de nos lieux
familiers. Cette instabilité, loin d’être un défaut, pourrait bien
être l’une des clés de notre extraordinaire capacité à naviguer
dans un monde en constante évolution tout en gardant trace de notre
passé.