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17 avril 2025 à 17h18

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Selon « Bring Kids Back » (« Ramenez les enfants »), plus de 19 500 enfants ont été enlevés par Moscou depuis l’invasion de février 2022. Seuls 1 200 sont rentrés chez eux. Un nouvel appel international vient d’être lancé pour rendre leur retour « non négociable » dans les futures discussions de paix.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Une campagne calculée et systématique

La Russie expulse depuis 2015 des enfants de la Crimée occupée, mais depuis février 2022, cette opération de déportation et de transfert forcé d’enfants ukrainiens est devenue totalement coordonnée.

La Russie a commencé à expulser des enfants ukrainiens avant même l’invasion à grande échelle. Le 18 février 2022 – six jours avant que les chars russes ne franchissent nos frontières – les autorités de Donetsk et de Louhansk, contrôlées par la Russie, ont lancé la première déportation massive d’enfants ukrainiens. En l’espace de quelques jours, des milliers d’enfants ont été retirés des internats et des orphelinats, embarqués dans des bus et envoyés en Russie, à Koursk, Taganrog, Rostov et au-delà. La Russie a appelé cela une « évacuation ». En réalité, elle a créé le danger dont elle prétendait les sauver – et ce n’était pas le début, juste l’escalade.

C’est ainsi que la Russie tente de voler l’avenir de l’Ukraine en s’en prenant à nos enfants. Elle tente d’effacer l’identité de toute une génération de jeunes Ukrainiens, de réécrire leurs origines, de leur ôter le droit d’être eux-mêmes et de les transformer en quelqu’un d’autre.

L’objectif est douloureusement clair : tuer autant d’adultes ukrainiens que possible et reprogrammer nos enfants pour en faire des citoyens russes. Ces enfants reçoivent de nouveaux noms, de nouvelles citoyennetés, et sont placés en isolement – coupés de leurs familles, de leur langue, de la vérité. Il leur est interdit de parler ukrainien. L’idéologie russe leur est imposée. Toute leur identité est en train d’être réécrite.

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La Russie cible les familles et les enfants parce que la famille a toujours été au cœur de l’identité, de la culture et de la tradition ukrainiennes, même pendant l’ère soviétique de russification forcée. La propagande dominait les écoles et les lieux de travail, mais à la maison, les gens parlaient ukrainien, chantaient des berceuses et des chants de Noël et conservaient des vêtements brodés. C’est pourquoi la Russie s’attaque à la famille, afin de déraciner complètement l’identité ukrainienne.

Une histoire qui me reste en mémoire est celle d’Artem, un garçon de 16 ans enlevé à Koupiansk et placé dans une institution en territoire occupé. On l’a forcé à porter un uniforme militaire, à chanter l’hymne russe et on lui a répété que l’Ukraine l’avait abandonné. Après que nous l’avons ramené et soutenu dans son rétablissement, il a dit quelque chose que je n’oublierai jamais : « J’ai vécu cela, et je ne veux pas qu’un autre enfant vive la même chose. » Ses mots en disent long.

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Un suivi psychologique et émotionnel délicat

Je veux être honnête : la réintégration est l’une des parties les plus difficiles et les plus délicates du travail mené par le programme « Bring Kids Back UA », lancé à l’initiative du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Certains enfants reviennent avec la peur au ventre. D’autres sont complètement perdus. Les psychologues parlent souvent d’obéissance extrême. Un instinct appris à suivre les ordres de n’importe quel adulte sans poser de questions. La plupart de ces enfants ont passé des mois – parfois des années – dans un environnement entièrement russe, exposés à un endoctrinement systématique visant à remodeler leur identité. On leur a dit que l’Ukraine les avait abandonnés. Ils ont été contraints de chanter l’hymne russe, de porter des uniformes militaires et de vivre sous une pression psychologique constante. Mais il ne fait aucun doute que les enfants reviennent aussi avec l’espoir d’un changement.

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C’est pourquoi notre travail ne se limite pas à les ramener chez eux. La réintégration est une composante essentielle de « Bring Kids Back UA », soutenue par un incroyable réseau d’ONG, d’agences gouvernementales et de pays. Des psychologues, des gestionnaires de cas et des travailleurs sociaux aident les enfants à renouer avec leur famille, leur culture et, surtout, avec eux-mêmes. Si nous n’aidons pas les enfants à se réapproprier leur identité, les conséquences se feront sentir pendant des générations socialement, culturellement et démographiquement. C’est pourquoi nous ne nous arrêtons pas à la frontière. Nous continuerons à travailler avec eux aussi longtemps qu’il le faudra.

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Nos demandes à la communauté internationale

Notre position est claire comme de l’eau de roche : nous ne pouvons pas parler d’une paix juste ou durable tant que les enfants ukrainiens restent sous le contrôle de la Russie. Lors des derniers pourparlers internationaux en Arabie saoudite (mars 2025), l’Ukraine a été explicite : le retour de nos enfants est une condition préalable fondamentale, même pour discuter d’un éventuel cessez-le-feu. Ce point a également été soulevé lors de la conversation entre le président ukrainien et le président américain. Nous ne laisserons pas cette question disparaître des priorités mondiales. C’est pourquoi nous demandons à la communauté internationale de nous aider de trois manières spécifiques :

  • Premièrement, la pression politique. Parlez-en. Gardez cette question visible. Mettez-la en avant à chaque sommet, à chaque table diplomatique.
  • Deuxièmement, la coopération pratique. Aujourd’hui, 41 pays ont rejoint la coalition internationale pour le retour des enfants ukrainiens, codirigée par l’Ukraine et le Canada. Cette plateforme nous aide à coordonner les efforts, à accroître la pression sur la Russie et à concevoir de nouveaux mécanismes de coopération, y compris le soutien aux programmes de réintégration. Nous travaillons également à la mise en place de mécanismes internationaux neutres pour garantir le retour des enfants. Plusieurs pays jouent déjà un rôle clé de médiateur, notamment le Qatar, le Vatican et l’Afrique du Sud, en aidant à faciliter les retours individuels. Nous avons également lancé un groupe de travail, présidé par Andriy Yermak et la baronne Helena Kennedy, qui comprend d’éminents experts ukrainiens et internationaux en matière de droits de l’homme, de droit international et de protection de l’enfance. Les experts sont invités à contribuer au travail de la task force en aidant à développer des mécanismes efficaces pour le sauvetage et la réintégration des enfants ukrainiens – des mécanismes qui pourraient servir au monde entier, en garantissant que les crimes contre les enfants ne se répètent jamais.
  • Troisièmement, la responsabilité. Nous avons besoin de plus de sanctions. De plus d’actions en justice. De plus d’isolement international pour les responsables. Tous les outils de la justice internationale doivent être utilisés pour forcer la Russie à cesser d’enlever des enfants et à commencer à coopérer à leur retour. Car rien – absolument rien – ne justifie le vol d’un enfant.

BIO EXPRESS

Daria Zarivna est directrice générale du programme gouvernemental ukrainien « Bring Kids Back UA » (« Ramenez les enfants »), lancé en 2023, et conseillère d’Andriy Yermak, chef du cabinet de Volodymyr Zelensky.

Par
Daria Zarivna, directrice de Bring Kids Back UA