Une fois n’est pas coutume, l’histoire qui nous occupe aujourd’hui ne s’est pas déroulée à Marseille mais à Neuilly-sur-Seine. Dans le jardin d’un hôtel particulier, Gaston Defferre, en bras de chemise et pantalon à pinces, s’avance face à son rival. Épée à la main, il s’apprête à disputer le dernier duel officiel de l’histoire de France.
Nous sommes le 21 avril 1967 et René Ribière, député gaulliste du Val-d’Oise, entend laver son honneur après que le député-maire SFIO de Marseille l’a traité d' »abruti », la veille, dans l’hémicycle de l’Assemblée. La séance finie, Ribière va voir Defferre : « Pourquoi m’avoir traité d’abruti ? » Réponse du maire de Marseille : « Parce que je le pense ». La médiation de Jacques Chaban-Delmas (UNR), président de l’Assemblée, est vaine. Pour autant, les deux députés ne seront pas sanctionnés.
Ce n’est pas la première fois que Defferre se retrouve dans un champ pour en découdre en tête à tête avec un rival de l’Assemblée. 20 ans plus tôt, le 29 mars 1947, il avait affronté Paul Bastid. Celui-ci avait l’outrecuidance de diriger L’Aurore qui avait publié un article jugé « infamant » par l’élu marseillais. La gifle assénée par Defferre au député radical de la Seine dans les couloirs du palais Bourbon avait rendu inéluctable ce duel. Une pratique pas si rare à l’époque : selon Le Monde, « c’est le neuvième duel qui s’est déroulé à Paris depuis le début de 1947 ». Les deux hommes se retrouvent dans une prairie de Clairefontaine pour un duel au pistolet, l’arme choisie par Bastid. Deux balles sont échangées à 25 mètres, « sans résultat : les adversaires ne se sont pas réconciliés », constate froidement Le Monde.
En ce matin de 1967, c’est donc à l’épée que Ribière défie Defferre. Un choix étonnant : le député francilien n’a jamais manié aucune arme d’estoc ou de taille. Raison pour laquelle au matin du duel, ce préfet court à la salle d’armes de l’Assemblée (il en existait une à l’époque) pour apprendre les bases de l’escrime. L’événement fait la une des journaux, radios et télés, qui traitent l’information sur un ton plus léger que dramatique malgré l’interdiction officielle du duel depuis le début du siècle. Le mariage de Ribière, le lendemain, ajoute au cocasse de la situation.
Quelques gouttes de sang qui perlent
Face à face, les deux hommes s’élancent. Defferre, l’ancien résistant de 57 ans, habitué au maniement des armes à feu, est plus vif. Il touche deux fois au bras son rival. Quelques gouttes de sang perlent, Ribière demande l’arrêt du combat. « Ce duel a été plutôt une bonne chose : il a montré qu’un député de la gauche ne peut insulter un député sans se retrouver devant une épée ou un pistolet », se satisfait Ribière. Defferre fanfaronne : « Il reste un abruti. C’est congénital. Tout cela est grotesque, ridicule et démodé. Cela ne peut avoir un sens que si le combat est dangereux. »
Pour le maire de Marseille, qui a des ambitions nationales dans cette Ve République naissante, l’occasion était trop belle de faire parler de lui. Deux ans plus tôt, sa candidature sous le masque de « Monsieur X », inspirée par L’Express de Servan-Schreiber, a avorté. Son rival au sein de la gauche non communiste, François Mitterrand, s’est au contraire distingué en poussant De Gaulle à un second tour.
En 1969, après la démission du Général, Defferre se lancera pour de bon. Candidat sans rival après la défection de Mitterrand, il forme un ticket « à l’américaine » avec Pierre Mendès-France, censé incarner la modernité face au gaullisme chancelant. Mais il échoue piteusement à 5,01% des voix. Difficile d’incarner le renouveau lorsque deux ans plus tôt, on revendiquait le droit d’exercer une pratique féodale…