Plus qu’un rendez-vous musical, le Cabaret Vert, qui se poursuit jusqu’au dimanche 17 août à Charleville-Mézières (Ardennes) est devenu en 20 ans un festival BD incontournable pour les fans et les auteurs. 

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Dans la halle Bayard, la canicule transpire encore. Sur leur visage tiré par la fatigue, aussi. Ils attendent leur tour assis par terre, BD en main.

Certains chanceux ont réussi à décrocher leur coupe-file. Et d’autres fans aguerris enchaînent les dédicaces, comme Benoît Breton. “Je suis arrivé mercredi après-midi de Clermont-Ferrand. Je me suis mis premier en file d’attente à 20h, pour ouverture le lendemain à 16h. Et hier soir, je me suis mis en file d’attente, pareil premier à 22h15, pour l’ouverture aujourd’hui à 16h”.

Dix années déjà que cet ouvrier en bâtiment vient au Cabaret Vert pour son festival BD et depuis, c’est devenu l’un des plus importants de France avec deux fois plus d’artistes invités. 70 cette année et parmi eux, de grandes plumes traquées par Benoît, satisfait d’avoir investi 150 euros en billets de train. “J’ai fait Malfin aujourd’hui, que je voulais absolument, un grand auteur que j’adore. Je viens de faire Monier, il m’a fait une très jolie dédicace. J’ai vu plusieurs dessinateurs de la série Elfes, Nains, etc. C’est vraiment super sympa, c’est top !”

 Dans les allées, Vincent Paris repère très vite ces fans. “Ils sont une soixantaine à avoir passé la nuit à l’entrée du Cabaret Vert pour être les premiers. Dès l’ouverture, ils se précipitent au festival BD car c’est premier arrivé, premier servi et on sait qu’il y a des auteurs très prisés”.

Bénévole depuis 10 ans, ce mordu de BD ne s’y trompe pas et distribue des tickets dans l’ordre d’arrivée. Son pire ennemi ? Les files d’attente. Une fois les portes ouvertes à 16h, cinq minutes auront suffi pour qu’il mette son panneau “Stop file” devant deux auteurs du moment. “Laurent Veron, c’est le dessinateur qui a repris Boule et Bill, donc voilà plutôt connu. Alexis Nesme vient de faire un album de reprise sur le Marsupilami. Dehors, il y a un auteur qui s’appelle Lorusso, c’est un Italien qui est très rare en France et il ne fera que dix dédicaces. Là, j’ai dix personnes qui sont là, qui attendent et lui il n’arrivera qu’à dix-huit heures…”.

Et en dix années de Cabaret Vert, ce Troyen a vu le festival grandir, avec son pôle manga, son pôle Comics, son prix Cabaret Vert lancé en 2022 auprès des lycées du département des Ardennes. “L’année dernière, on a réussi à avoir le dessinateur de The Walking Dead ! C’est un festival à part… Pour moi le Cabaret, c’est un festival multiculturel, par la musique, le cinéma, les arts de rue, la BD et c’est ça, cette richesse, il est top !”.

En 5 minutes, les 2h de dédicace d’Alexis Nesme affichent complet.

En 5 minutes, les 2h de dédicace d’Alexis Nesme affichent complet.

© Romain Nowicki / FTV

19h, l’heure de la bascule sonne : Vincent amène les nouveaux auteurs en dédicace pendant que les premiers terminent leur croquis. Arrivé il y a quelques minutes de son atelier de Reims, Philippe Buchet enchaîne deux interviews et s’installe à son stand. L’auteur de la mythique série Sillage lancée en 1998 attire de nombreux fans. “Je veux bien faire 200 signatures en 2h, mais le but de ce genre de festival, cela reste le dessin souvenir !”. Il n’y aura que 15 chanceux, mais le maître du space opera -comprendre aventures spatiales- a marqué le Cabaret Vert d’une croix dans son calendrier depuis sa première invitation en 2018. “

« C’était un coup de foudre. Si on m’avait dit un jour qu’à Charleville je verrais les Chemical Brothers… J’ai vu Soul Wax, qui était l’un des meilleurs concerts de ma vie, avec leurs percussions c’était impressionnant. J’ai rencontré aussi plein d’auteurs. Du coup à chaque fois que je peux revenir, je reviens ! Une habitude prise, quitte à faire des infidélités. “Avant quand je venais, le festival était plus fin août et il y avait en même temps un festival à Solliès-Ville dans le Sud. On y faisait un peu de plongée et une journée barbecue, donc je me disais que pour pouvoir détrôner le festival de Solliès, ça allait être dur ! Et pourtant, la première fois que je suis venu au Cabaret Vert m’a suffi. Après, quand Solliès m’invitait, je disais “désolé, je ne peux pas j’ai Cabaret Vert !”, sourit le dessinateur originaire de Juniville dans les Ardennes, loin d’être le seul à s’enthousiasmer pour l’événement.

C’est marrant d’aller aux toilettes et de tomber sur Orelsan qui te dit “Salut !” alors qu’on ne se connaît pas

Philippe Buchet, auteur de la série Sillage

à France 3 Champagne-Ardenne

Chaque année, le programmateur trie sur le volet les auteurs invités, entre jeunes pousses et pointures. “On est le festival le plus apprécié de France, on peut le dire, sur la base des retours qu’on a, des sourires, des yeux des auteurs qui pétillent, se félicite Laurent Quesada, en charge de la programmation depuis 2015. Il y a une prise en charge totale de l’artiste, au même titre que les artistes sur scène. Ils profitent du restaurant invités, où on mange très bien, ils profitent des loges, c’est gratuit et c’est open. C’est rare dans les autres festivals où généralement t’as deux tickets et c’est tout. Et ils profitent des concerts et de la programmation exceptionnelle !”.

“C’est marrant d’aller aux toilettes et de tomber sur Orelsan qui te dit “Salut !” alors qu’on ne se connaît pas. Je trouve que c’est une ambiance hyper décontractée, même le public, c’est hyper détendu”, abonde Philippe Buchet. Les auteurs sont chouchoutés, même par ces fortes chaleurs, grâce à des ventilateurs alignés sous leur stand. Depuis quelques années, l’organisation rémunère même leurs séances de dédicace en lien avec les institutions publiques (la DRAC, la CNL et la SOFIA (Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit)). “Les festivals, c’est essentiel pour nous, surtout quand tu commences. Ici, tu vends des bouquins, t’as une vitrine, il y a des gens qui passent, qui n’étaient pas sensibles à ton travail et tu as le temps de leur montrer ce que tu fais, explique Lolita Couturier, jeune dessinatrice de 25 ans.

Pour son premier Cabaret Vert, cette Parisienne installée à Angoulême – “Comme par hasard !”- est venue présenter son deuxième album, Détour par Epsilon, non sans tomber sous le charme de l’organisation de l’événement qui a vu défiler 16 000 festivaliers en 2024. “Ici, on est tellement bien accueilli, la nourriture est trop bonne, l’équipe de bénévoles est adorable, on nous laisse vraiment profiter du festival aussi, de toute la programmation musicale. Surtout, tu rencontres d’autres auteurs et ça te permet de comprendre plein de choses à ce milieu qui parfois est un peu opaque, vu qu’on est chacun de notre côté, on travaille chez soi. Tu te rends compte que parfois on est dans la même problématique.”

Lolita Couturier présente son dernier album, Détour par Epsilon.

Lolita Couturier présente son dernier album, Détour par Epsilon.

© Romain Nowicki / FTV

Une proximité recherchée par tous les auteurs, une pression moindre, aussi, dans un cadre bucolique où fleure un parfum de fin des vacances. L’artiste Teddy Bellino ne dira pas le contraire, lui qui vient de croiser celle qu’il a croquée au stylo Bic en 33h, Zaho de Sagazan. “Elle a vu sur les réseaux que j’avais fait le dessin. Elle avait liké mon post. Là, en fait, elle a découvert l’original. Elle me l’a signé. Je lui ai offert une belle reproduction, raconte l’illustrateur exposé à la médiathèque de Charleville-Mézières cet été. Elle était super contente et on a bien discuté. Elle a même regardé mon book avec tous les autres dessins.” Une rencontre en toute intimité, à l’abri des regards médiatiques, qui font la saveur du Cabaret Vert.

Teddy Bellino et son illustration de Zaho de Sagazan signée par l’artiste.

Teddy Bellino et son illustration de Zaho de Sagazan signée par l’artiste.

© Romain Nowicki / FTV

“À Angoulême par exemple, il y a presque trop de monde, des centaines d’auteurs, entre les dédicaces, les interviews, on ne peut pas faire deux pas sans croiser quelqu’un, synthétise Philippe Buchet en grand habitué. On a l’impression d’être à un mariage, on voit tout le monde, on a le temps de discuter avec personne finalement.”

Pour les organisateurs ardennais, pas question de concurrencer Angoulême et ses 1500 auteurs, 200 000 festivaliers, le tout chaperonné par les éditeurs. Question d’indépendance. La jauge de 70 invités ne devrait donc pas augmenter. “Dans le milieu de la bande dessinée, le Cabaret Vert est dans le top 5 des festivals BD de France par rapport à la prestation donnée, s’avance Vincent Paris. Tous les auteurs que je connais demandent de revenir d’année en année mais il faut partager.”

À peine le temps de distribuer d’autres tickets d’attente que Vincent Paris croise Alison Delbart, prise entre deux conseils BD. Cette libraire de formation officie à Metz, et depuis trois ans, elle pose sa semaine de vacances pour tenir la grande librairie éphémère du festival avec deux confrères. “Je viens pour les auteurs, nous on vient pour le CV aussi parce que c’est toujours cool d’avoir une expérience comme celle-ci. Le festival est devenu de plus en plus réputé, il a monté en gamme avec son plateau d’auteurs, ça intrigue les amateurs de BD et comme on bosse dans la BD, on a eu envie de voir ça de plus près.”

Et chaque année de nouvelles nouveautés l’attendent, elle, Philippe, Vincent, Benoît et tous les curieux qui s’intéressent au 9e art. Avec le projet de réhabilitation de la Macérienne, les organisateurs voient plus loin. L’usine historique de l’automobile pourrait accueillir des concerts dessinés. De quoi repousser toujours plus la créativité d’un festival baptisé du nom du plus imaginatif des Carolomacériens : Arthur Rimbaud et son Cabaret Vert.