Cette année, l’exposition à ciel ouvert Voyage à Nantes nous emmène au cœur de « l’étrangeté », thème de l’édition 2025. Parmi les œuvres exposées au sein de ce parcours urbain de 20 kilomètres, celle de l’artiste designer Jenna Kaës propose de combler les lacunes de l’histoire des lieux par l’art et l’imagination.

Jenna Kaës est artiste designer. Son travail, à la croisée de trois disciplines – le design, les arts décoratifs et l’installation –, explore les questions de la mort, du deuil, du sacré et du rêve.

Des thématiques que l’on retrouve dans son œuvre réalisée pour le Voyage à Nantes de 2025. L’œuvre, intitulée Aurarium, a pris ses quartiers dans un dispensaire construit entre 1903 et 1906 à Nantes, sous l’impulsion de Thomas Dobrée, mécène et collectionneur nantais à l’origine du musée Dobrée, auquel le dispensaire est aujourd’hui rattaché. Pourtant, jusqu’à très récemment, ce dispensaire accueillait encore des malades de la tuberculose. Pour l’artiste, il a fallu revenir aux sources et donc à la conception du lieu :

« La première entrée du projet, c’est un peu une sorte de restauration décorative contemporaine dans ce lieu. J’ai voulu retirer tous les éléments qui avaient été ajoutés tardivement et qui ne faisaient donc pas partis du projet initial des architectes du lieu, entre autres : les luminaires, qui étaient certainement des lumières des années 1980, mais aussi les portes, qui ont été changées. »

Pour opérer ce relooking contemporain du dispensaire, Jenna Kaës a joué sur les lumières, les portes, les vitres et les anciennes salles de consultation transformées en vitrines ésotériques :

« On trouve dans ce hall : six appliques lumineuses et un très grand lustre en fonte d’aluminium à la cire perdue et en verre soufflé, qui sont des techniques qui étaient très utilisées pour les luminaires de villes et de passage au début du siècle dernier dans les grandes villes, à Nantes et partout en Europe. Ensuite, on a des portes qui sont complètement matelassées, réalisées avec des rebuts de cuir et qui présentent des motifs gothiques d’araignées et de toiles et qui rappellent aussi les portes qu’on trouve chez les médecins, qui sont censées étouffer le son et garder le secret. Il faut s’imaginer qu’il y a une multitude de portes dans ce hall, puisqu’elles donnaient toutes accès à des salles de consultation, des salles de radio qui sont un peu secrètes et dont on connaît plus trop l’usage ancien. »

L’art comme une façon de prendre soin des lieux, de rendre hommage à leur histoire

Derrière cette réappropriation artistique de l’histoire, il y aussi l’idée de rendre hommage à un lieu et à son histoire par l’esthétique. Camille assure la médiation autour de l’œuvre de Jenna Kaës. Elle rappelle que ce travail s’inspire du mouvement des arts décoratifs qui s’est développé au début du XXe siècle autour de l’architecture et de la décoration d’intérieur :

« L’artiste ne vient pas combler un trou mais revaloriser les marques du temps, les traces qui ont été laissées par l’usage de ces murs et par l’usage du lieu. Elle nous montre comment l’art décoratif est aussi une manière de prendre soin d’un lieu, de revaloriser et de donner de la mémoire. Par son travail, elle rend visible l’invisible, une histoire qu’on raconte très peu, celle des malades de la tuberculose. »

L’aspect gothique revendiqué par l’artiste devient une possibilité d’échapper au réel quand il est trop lourd, et d’y puiser le magique et le mystérieux. Cette dimension touche certains visiteurs. C’est le cas de Mathilde : « Ça me fait voyager dans mon imaginaire, comme par exemple sur cette œuvre où elle reproduit le motif du sol sur un tapis… On est entre la réalité et l’imitation. »

Par son œuvre à la fois belle et menaçante, Jenna Kaës reproduit le paradoxe qui entoure le milieu médical : à la fois lieu de soin, de guérison et de vie mais aussi de souffrance, de mystère et de mort. En outre, l’artiste designer remet au goût du jour une idée du soin profondément politique : celle d’une guérison qui ne peut être envisagée sous le seul angle du corps mais qui doit aussi prendre en compte celui de la santé mentale en créant des lieux d’accueil et de soin agréables pour les patients.

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