Imaginez une
chaîne de volcans s’étendant sur plus de
640 kilomètres, enfouie à six kilomètres sous nos pieds,
silencieuse depuis des centaines de millions d’années. C’est
exactement ce que viennent de découvrir des géologues sous la Chine
du Sud : un véritable empire volcanique fossilisé qui témoigne
d’une époque où notre planète subissait des bouleversements
titanesques. Cette découverte extraordinaire pourrait bien réécrire
notre compréhension de l’histoire climatique de la Terre et révéler
comment d’anciens cataclysmes géologiques ont façonné le monde que
nous connaissons aujourd’hui.
Une
détection digne d’un film de science-fiction
L’histoire de cette découverte commence par un défi technique
colossal : comment observer ce qui se cache à des kilomètres sous
la surface terrestre ? L’équipe menée par Zhidong Gu de PetroChina
et Junyong Li de l’Université de Nanjing a relevé ce défi en
déployant une technologie fascinante : des capteurs magnétiques
aéroportés capables de « radiographier » la croûte
terrestre.
Leur méthode s’appuie sur
un principe élégant : chaque type de roche contient des minéraux
magnétiques différents, créant une signature magnétique unique. En
survolant le bassin du Sichuan avec leurs détecteurs
hypersensibles, les scientifiques ont progressivement reconstitué
une carte souterraine révélant l’impensable.
Sous plusieurs kilomètres
de roches sédimentaires accumulées au fil des éons, ils ont
identifié une bande rocheuse riche en fer d’une géométrie
saisissante : 700 kilomètres de longueur sur 50 kilomètres de
largeur, serpentant du nord-est au sud-ouest. Cette formation
géologique exhibait un champ magnétique anormalement intense,
trahissant sa nature volcanique ancienne.
Voyage au
cœur du temps géologique
Pour comprendre cette
découverte, il faut remonter le temps jusqu’à une époque où la
Terre était méconnaissable. Il y a 800 millions d’années, au début
du Néoprotérozoïque, notre planète abritait un supercontinent
appelé Rodinia. La Chine du Sud occupait alors une position
stratégique à la limite nord-ouest de cette masse continentale
gigantesque.
Mais Rodinia était
condamnée à l’éclatement. Les forces tectoniques titanesques qui
animent l’intérieur de notre planète ont provoqué sa fragmentation,
séparant violemment ce qui allait devenir le bloc Yangtze du reste
du supercontinent. Cette rupture continental n’était pas un
phénomène paisible : elle s’accompagnait de collisions
cataclysmiques entre plaques tectoniques.
Lorsque le bloc Yangtze
est entré en collision avec la plaque océanique de Chine, un
processus géologique d’une violence inouïe s’est enclenché. La
croûte océanique, plus dense, a plongé sous la croûte continentale
dans un phénomène de subduction qui allait transformer le paysage
pour des centaines de millions d’années.
Reconstitution de la Rodinia plaçant la Chine du Sud entre
l’Australie-Antarctique et la Laurentia. Credit: Chao
Liu/EarthByte.La
naissance d’un empire de feu
Ce ballet tectonique
souterrain a déclenché une cascade de phénomènes volcaniques
spectaculaires. Lorsque la croûte océanique s’enfonce dans les
profondeurs terrestres, elle se réchauffe et libère l’eau qu’elle
contient. Cette eau, en remontant, génère du magma qui trouve son
chemin vers la surface, alimentant des volcans disposés en arc
au-dessus de la zone de subduction.
Mais l’arc volcanique
découvert sous la Chine du Sud défie les modèles classiques.
Contrairement aux chaînes volcaniques habituelles qui forment des
ceintures relativement étroites le long des côtes – comme les
Cascades nord-américaines – cette formation s’étend sur près de 900
kilomètres à l’intérieur des terres.
Les chercheurs ont analysé
des échantillons rocheux prélevés lors de forages profonds,
confirmant leur origine magmatique et leur âge : entre 770 et 820
millions d’années. Ces roches portent la signature chimique
caractéristique des volcans d’arc, validant définitivement
l’hypothèse d’un système volcanique d’ampleur exceptionnelle.
Un
mécanisme géologique d’exception
Pour expliquer cette
configuration inhabituelle, les scientifiques évoquent un phénomène
rare appelé « subduction en plaque plate ». Dans ce
scénario, la plaque océanique ne plonge pas directement dans les
profondeurs terrestres mais glisse horizontalement sous le
continent sur des centaines de kilomètres avant de s’enfoncer
définitivement.
Ce processus particulier
génère deux fronts volcaniques distincts : un premier près de la
côte, là où la plaque commence à glisser sous le continent, et un
second beaucoup plus à l’intérieur des terres, là où elle finit par
plonger dans le manteau terrestre. Un phénomène similaire façonne
aujourd’hui la cordillère des Andes, où la plaque de Nazca génère
plusieurs chaînes montagneuses parallèles.
Des
implications climatiques majeures
Cette découverte dépasse
le cadre purement géologique pour toucher aux grands équilibres
climatiques de notre planète. Les relevés géochimiques indiquent
que le cycle global du carbone a subi des perturbations majeures
durant cette période, entre 720 millions et 1 milliard
d’années.
Les volcans jouent un rôle
crucial dans ce cycle : ils rejettent du dioxyde de carbone dans
l’atmosphère, tandis que l’érosion des montagnes qu’ils créent
consomme ce même gaz. L’ampleur insoupçonnée du volcanisme chinois
ancien suggère que son impact sur le climat terrestre pourrait
avoir été considérablement sous-estimé.
Cette révélation ouvre de
nouvelles perspectives pour comprendre les instabilités climatiques
du Néoprotérozoïque et leur influence sur l’évolution de la vie sur
Terre, à une époque cruciale qui a précédé l’explosion de la
biodiversité du Cambrien.