Un cliché iconique pour ceux qui le connaissent. Dalida, assise avec un téléphone dans la main à l’agence « Sud Ouest » de Royan, c’est lui. On est au début des années 1960 et Jean-Pierre Boudon, alors photographe l’été pour le quotidien régional, doit réaliser des photos de celle qui se met au goût du jour avec des tubes tels que « La Leçon de twist » ou « Le Petit Gonzalez ».

« Il fallait que je la mette en scène de différentes façons, comme à chaque fois, alors je l’ai emmenée le long du casino municipal avant que nous nous rendions dans les locaux du journal où j’ai eu l’idée de la faire asseoir au bureau d’Henri Couderc, le directeur de l’agence. Je me souviens avoir fait, après, un tour en 403 décapotable avec elle dans Royan. »

À 88 ans, sa mémoire ne lui fait pas défaut dès lors qu’il s’agit d’évoquer l’âge d’or de la station balnéaire. Un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais qui peuvent le découvrir en franchissant l’entrée du Musée de Royan où une exposition réunissant 61 de ses photos a lieu jusqu’au 29 mars 2026.

On parle d’une époque où Royan était un passage obligé pour toutes les stars du moment. « Il y avait des fêtes organisées tous les soirs. Dans ces années, les chanteurs et chanteuses faisaient la tournée des casinos », rappelle Jean-Pierre Boudon qui a côtoyé toutes ces vedettes. Il parle même de Fernand Raynaud comme d’un ami. « Bon, il était l’ami de beaucoup de gens. C’était un habitué de Royan », précise celui qui a immortalisé des couples glamours comme cette photo d’Yves Montand et Simone Signoret prise au Golf Hôtel où beaucoup de célébrités descendaient.

Cette atmosphère des années yéyés bercée par la joie de vivre et l’envie de croquer la vie à pleines dents transpire dans les clichés de Jean-Pierre Boudon. Pourtant, rien ne prédestinait cet Auvergnat de descendance né à Paris à vivre de tels moments. Après avoir suivi des études liées à la photo, ce sont des soucis de santé qui l’ont poussé vers la Côte de Beauté en 1959. « Une journée pendant laquelle je m’ennuyais, j’ai décidé d’aller taper à la porte de l’agence royannaise de « Sud Ouest » pour voir s’il n’y avait pas besoin d’un photographe », raconte-t-il. Bien lui en a pris puisqu’il a démarré sa collaboration le jour même à 22 ans.

« Journal Sud Ouest, bonjour. » La chanteuse Dalida en personne a tenu le standard de l’agence « Sud Ouest » de Royan. Pour la photo…

« Journal Sud Ouest, bonjour. » La chanteuse Dalida en personne a tenu le standard de l’agence « Sud Ouest » de Royan. Pour la photo…

Jean-Pierre Boudon/SO

« Un monde inconnu »

Le numérique est alors une vaste chimère. « Je développais la pellicule dans le noir. Pour les sécher, je pendais les films. J’étais payé 3,17 francs la photo. » Son travail plaît, si bien qu’on lui demande de revenir l’été d’après. Ce qu’il fera pendant une dizaine d’années, assez longtemps pour nouer des liens étroits avec Royan où il fait la connaissance de celle qui deviendra sa femme au milieu des années 1960. Il y a même acheté une maison dans le quartier de Pontaillac en 1975. Sa famille s’y retrouve encore régulièrement.

La photo de Claudine Auger avait la première page de “Paris Jour”

« J’ai découvert un monde que je ne connaissais pas », avoue-t-il. La dolce vita à la royannaise avec ses galas, ses fêtes de la mer, ses stars le font vibrer. « Les festivités démarraient souvent à une heure à laquelle j’étais normalement couché depuis longtemps », en sourit Jean-Pierre Boudon. Les noms des lieux de fête remontent aussi à la surface comme le café Le Régalty. « Beaucoup étaient sur le front de mer. Eddy Mitchell ou Alain Bashung y ont fait leurs armes… » Et Johnny Hallyday ? « Un type très sympa. » Tout comme Claudine Auger, mondialement connue pour avoir donné la réplique à Sean Connery en 007 dans « Opération tonnerre » en 1965. « Il y avait un bassin pas loin de l’agence. J’ai eu l’idée de la prendre en photo en maillot de bain. Ça avait fait la première page de “Paris Jour”. Ce qui m’avait rapporté cinquante francs. Une sacrée somme. »

Le début de la fin

Plusieurs événements ont marqué Jean-Pierre Boudon lors de cette aventure de dix ans. « Je pense aux fêtes de la mer. Ça n’existe plus mais ça attirait un monde considérable avec une note religieuse. Un évêque embarquait sur un bateau pour une bénédiction en mer… » Mais surtout il y avait ces fameuses courses de trottinettes. Un must avec des étapes. « Ça durait une semaine avec tout un décorum. Chaque équipe était sponsorisée par un commerce royannais. »

Toutes ces réminiscences sont présentes dans l’exposition. Pour s’immerger un peu plus dans ce climat des sixties, un juke-box a même été installé. Aujourd’hui, la station balnéaire est un peu moins people. Le curseur s’est déplacé du côté de Saint-Palais-sur-Mer. « La bascule a eu lieu lorsque les tournées ont déserté les casinos pour des stades plus grands », explique Jean-Pierre Boudon. Le début de la fin.