«Enfant battu, lycéen abandonné, fugueur sans bagage, sans culture, sans trace ni héritage… » Kells s’est choisi ce pseudonyme en claquant la porte de l’appartement où il vivait avec ses parents à Lyon. Un hommage au Livre de Kells, manuscrit enluminé au VIIIe siècle par un moine irlandais, car ainsi va le jeune homme de 17 ans : un peu catholique (il possède aussi un portrait du curé d’Ars, qu’il aimait, enfant, car il accueillait les déshérités dans sa paroisse lyonnaise, cent cinquante ans avant sa naissance), un peu anarchiste, chatoyant d’espérances, ignorant tout du monde, bientôt martyrisé. Son sac sur le dos, il rêve de gagner Ibiza, puis le Népal. Nous sommes dans les années 1970.
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Derrière Kells, il y a Sorj Chalandon, qui nous raconte ici ses années d’errance avant son entrée à Libération. Le jeune homme gagne Paris, mais il ne pourra pas quitter la capitale : la rue le happe, le blesse, le coule dans le plomb. Impossible de s’envoler quand on est lesté de crasse, de fatigue, de peur. Volé, agressé, il n’a pas d’argent, il est sans abri. Adieu les rêves de dérive hippie. Celui qui n’a « pas connu l’odeur du bonheur » dans un foyer marqué par un père violent (qu’il a raconté dans Profession du père, en 2015) et une mère effacée va découvrir « celle du malheur, de la sueur, du linge mal séché, de la peur, de la pisse ».
Humanité
Nous suivons, guidés par le style de Chalandon, vif-argent contre la noirceur du monde, tout en images délicates et en métaphores comme des coups au cœur, ses pérégrinations auprès de compagnons d’infortune jetés du mauvais côté de la vie : jeunes en errance, garçons et filles aux noms inventés, aux trajectoires meurtries, immigrés maltraités, drogués sans horizon.
À LIRE AUSSI « Mathilde m’a dit de continuer » : le drame derrière le nouveau livre de Cédric Sapin-Defour Rares sont les textes d’une si grande humanité, d’une telle vérité sur le sentiment d’abandon et de vulnérabilité que l’on peut ressentir quand on est seul sur terre au beau milieu d’une ville. Au mitan du roman, des mains se tendent : ce sont des étudiants, membres de la Gauche prolétarienne, qui vont ouvrir à Kells des perspectives nouvelles. L’émotion du livre réside dans le mouvement de balancier qui s’opère dans la vie de Kells, passant d’un extrême à l’autre en cherchant son point d’équilibre.
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Car la lutte armée l’amène, elle aussi, au pied du mur : la tentation de la violence, le franchissement d’autres lignes rouges. Récit d’un homme qui se cherche, se perd et se fabrique, dans l’absence d’une mère à qui il s’adresse parfois dans ces lignes comme on lance une prière au néant (« Il me faut ma maman dans la nuit », se souvient Chalandon, pudique et poignant), ce Livre de Kells prolonge la plongée dans l’intime d’un écrivain qui sait comme peu d’autres tendre un miroir à nos âmes
« Le Livre de Kells », de Sorj Chalandon (Grasset, 384 p., 23 €).
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