Aux États-Unis, la montée des tensions depuis l’arrivée de Donald Trump en politique pousse certains Américains à chercher une vie meilleure à l’étranger, notamment au Canada. C’est le cas de deux pasteurs américains qui se sont installés à London en Ontario. S’ils continuent de croire en la promesse d’une vie meilleure au pays de l’unifolié, leur route vers l’eldorado canadien est loin d’être un long fleuve tranquille.

Robert Apgar-Taylor se souvient parfaitement du jour où son mari Robert Taylor (nous l’appellerons Rob afin de les différencier) et lui ont traversé la frontière canadienne.

Nous avons pris une photo à la frontière. C’était l’hiver. Nous portions nos chemises à carreaux et nos chapeaux et avons montré nos documents d’immigration avec le camion de déménagement derrière nous. Nous étions tellement excités, raconte Robert Apgar-Taylor.

Un égoportrait de Robert Apgar-Taylor et de Robert Taylor montrant leurs documents d'immigration à leur arrivée au Canada.Ouvrir en mode plein écran

Robert Apgar-Taylor et son mari Robert Taylor à leur arrivée au Canada.

Photo : Robert Apgar-Taylor

C’était en décembre 2022. Robert, un révérend de la United Church of Christ, une Église américaine progressiste, venait d’obtenir un poste dans une paroisse de l’Église Unie du Canada à London, en Ontario.

Quand Trump a été élu [pour la première fois], nous avons pensé partir, mais nous nous sommes dit que notre réaction était excessive et que les choses ne pourraient pas aller si mal. […] Mais les choses se sont passées aussi mal que nous l’avions imaginé.

Une citation de Robert Apgar-Taylor, révérend américain

Dès l’élection de Donald Trump en 2016, le couple a regardé avec angoisse le climat politique se détériorer dans leur pays et les mesures hostiles aux droits LGBTQ+ se multiplier.

Donald Trump brandissant une bible devant l'église St. John's.Ouvrir en mode plein écran

Donald Trump s’est fait prendre en photo devant une église, une bible à la main, après la dispersion de manifestants, le 2 juin 2020. « Nous avons un grand pays », a-t-il déclaré.

Photo : Associated Press / Patrick Semansky

D’abord, il y eut le retrait d’une page dédiée à la communauté LGBTQ+ sur le site web de la Maison-Blanche quelques heures seulement après l’assermentation de Donald Trump en 2017, raconte Robert Apgar-Taylor.

Puis, la violente répression de manifestants antiracisme à coups de balles de caoutchouc et de gaz lacrymogène devant la résidence du président en 2020 et finalement l’attaque contre le capitole un an plus tard.

Je ne pouvais pas croire qu’on démantelait la constitution et les garde-fous de la société civile et que les gens suivaient [Donald Trump] aveuglément, se souvient Rob, qui était policier pour la Ville de Washington D.C. à l’époque.

Le juge de la Cour suprême des États-Unis, Clarence Thomas.Ouvrir en mode plein écran

Le juge de la Cour suprême des États-Unis Clarence Thomas lors d’une photographie officielle le 7 octobre 2022 à Washington.

Photo : Getty Images / Alex Wong

En tant que pasteur ouvertement homosexuel, Robert Apgar-Taylor raconte avoir reçu une menace de mort.

Après la fusillade à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh en 2018, son église s’est également dotée d’un gardien de sécurité.

Dès [le début de la messe] à 11 h, on fermait les portes à clé. […] C’est la réalité quand on est le seul pasteur ouvertement gai – qui ose en plus dénoncer ce qui se passe, raconte-t-il.

Mais pour le couple, le coup de grâce a été porté en 2022, lorsque la Cour suprême des États-Unis a invalidé l’arrêt Roe c. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement à l’échelle nationale.

Ce jour-là, le juge conservateur Clarence Thomas a suggéré que la Cour devrait aussi reconsidérer d’autres droits acquis, tels que le droit à la contraception, les relations homosexuelles et le mariage homosexuel.

Quinze secondes après avoir entendu la nouvelle, Rob m’a regardé et m’a dit « c’est assez. On doit partir », se souvient Robert Apgar-Taylor.

Début du widget . Passer le widget ?Fin du widget . Retourner au début du widget ?Des dizaines de demandes

Robert et Rob ne sont pas les seuls à convoiter le Canada depuis l’arrivée de Donald Trump en politique.

Dans les deux semaines qui ont suivi la réélection du magnat de l’immobilier en novembre 2024, le couple dit avoir reçu une trentaine de messages d’Américains leur demandant comment faire pour s’installer au nord de la frontière.

Un échange de messages textes sur un téléphone portable.Ouvrir en mode plein écran

Depuis la réélection de Donald Trump, Robert Apgar-Taylor et son mari ont reçu une trentaine de messages d’Américains souhaitant s’installer au Canada.

Photo : Radio-Canada / Prasanjeet Choudhury

L’Église Unie du Canada indique pour sa part avoir été contactée par une vingtaine de membres du clergé américain souhaitant obtenir un poste au Canada depuis janvier. Avant, elle ne recevait que trois à cinq demandes annuellement.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada indique, pour sa part, avoir reçu 4634 demandes d’immigration en tout genre de la part d’Américains entre janvier et avril 2025, comparativement à 3914 pendant la même période en 2024, 4031 durant les quatre premiers mois de 2023 et 3640 pour la même période en 2022.

Fuir l’intolérance

D’ailleurs, à l’Église Unie First-St. Andrew’s de London, située à seulement quelques kilomètres de la paroisse où travaille Robert Apgar-Taylor, un autre américain officie maintenant les messes : le révérend Joshua Lawrence.

Joshua Lawrence devant l’église First-St. Andrew's de London, en Ontario.Ouvrir en mode plein écran

Joshua Lawrence devant l’église First-St. Andrew’s de London, en Ontario.

Photo : Radio-Canada / Prasanjeet Choudhury

Le militant pour les droits civiques originaire du Texas s’est installé à London avec sa femme Amariee Collins – de descendance afro-américaine – et leur jeune fils il y a quatre ans pour fuir ce que le pasteur considère comme une montée du racisme et de l’intolérance depuis l’avènement du mouvement MAGA aux États-Unis.

Il y a eu des actes de violence. […] Des églises noires ont été brûlées dans le sud. La question de l’esclavagisme, de l’émergence du Ku Klux Klan, du terrorisme blanc, toutes ces choses, ont commencé à refaire surface sous d’autres formes, encouragées par les actions de Donald Trump, raconte-t-il.

Joshua Lawrence joue avec son chien et son beau-fils dans sa cour arrière.Ouvrir en mode plein écran

Joshua Lawrence et le fils de sa femme, de passage au Canada pour l’été.

Photo : Radio-Canada / Prasanjeet Choudhury

Rapidement, le révérend, qui croyait œuvrer au sein d’une paroisse progressiste, a vu ces tensions faire surface au sein même de son église.

Il raconte avoir reçu un courriel suggérant à sa femme de quitter la paroisse. Puis, c’est à lui qu’on a montré la porte en raison de ses valeurs jugées trop libérales, soutient-il.

Il ajoute que dans son ancienne paroisse, afficher ouvertement son soutien à la communauté LGBTQ+ et à la lutte contre le racisme, comme il le fait maintenant au Canada, aurait été très risqué.

Je me suis souvent demandé si je pouvais le faire sans risquer de recevoir des menaces ou que l’église se fasse attaquer, déplore-t-il.

Le Canada, un eldorado?

Pour les pasteurs, obtenir la très convoitée résidence permanente canadienne est toutefois loin d’être garanti.

Les deux hommes bénéficient d’un visa de travail lié à l’Église Unie du Canada. Ils pensaient obtenir la résidence permanente au bout de six mois à deux ans en sol canadien, mais le récent abaissement des seuils d’immigration permanente par Ottawa a contrecarré leurs plans.

Robert Apgar-Taylor et Robert Taylor posent dans leur cour arrière.Ouvrir en mode plein écran

Robert Apgar-Taylor (gauche) et Robert Taylor (droite), chez eux à London en Ontario.

Photo : Radio-Canada / Prasanjeet Choudhury

Tant qu’ils n’auront pas le statut, Robert Apagar-Taylor et son mari ne pourront pas acheter de maison sans devoir s’acquitter d’une taxe de 25 % imposée aux acheteurs étrangers en Ontario (nouvelle fenêtre).

Par conséquent, le pasteur a été forcé de repousser son opération pour le cancer de la prostate de trois mois lorsque le couple a dû déménager d’urgence de l’appartement qu’il louait.

Je ne pouvais pas me faire opérer et déménager en même temps. […] J’étais anéanti. dit-il.

Joshua Lawrence et sa femme, eux, sont souvent forcés de vivre séparés puisque la sage-femme et technicienne en échographie de formation n’a toujours pas obtenu les équivalences nécessaires pour travailler dans son domaine en Ontario.

Elle passe donc plusieurs semaines par mois aux États-Unis pour gagner sa vie.

À certains moments, nous nous sommes demandé si nous avions pris la bonne décision, admet Joshua Lawrence.

L’avocat en immigration Greg Willoughby met d’ailleurs en garde les Américains qui seraient tentés par une vie au Canada.

Quand Trump a été élu la première fois, je recevais des appels de gens qui demandaient s’il y avait des options d’immigration spécifiques pour les Américains et la réponse est non.

Une citation de Greg Willoughby, avocat en immigration

L'avocat en immigration Greg Willoughby dans son bureau. Ouvrir en mode plein écran

L’avocat en immigration Greg Willoughby.

Photo : Radio-Canada / Prasanjeet Choudhury

Dans une déclaration par courriel, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada indique que les délais de traitement des demandes d’immigration dépendent de divers facteurs, notamment les cibles d’immigration, la complexité des dossiers, les contrôles de sécurité et la rapidité avec laquelle les demandeurs répondent aux demandes d’information.

Enfin Pouvoir respirer

Malgré les embûches, Robert, Rob et Joshua gardent espoir.

Nous croyons toujours que cet investissement va nous permettre d’avoir une bonne qualité de vie, dit Joshua Lawrence.

Robert Apgar-Taylor à l’Église Unie Wesley-Knox de London, en Ontario.
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Robert Apgar-Taylor est un militant de longue date pour les droits de la communauté LGBTQ+.

Photo : Radio-Canada / Prasanjeet Choudhury

Dans leur sous-sol, Robert Apgar-Taylor et son mari, eux, contemplent des photos de famille affichées au mur.

Ils nous manquent tous les jours.

Une citation de Robert Taylor

Robert Taylor devant l'arbre familial et des photos de famille.Ouvrir en mode plein écran

Les cinq enfants de Robert Apgar-Taylor et de son mari Rob vivent toujours aux États-Unis avec leurs petits enfants.

Photo : Radio-Canada / Prasanjeet Choudhury

Retourner aux États-Unis n’est toutefois pas une option pour le couple.

L’année où Robert et Rob ont déménagé à London, deux de leurs amis ont été agressés dans des attaques séparées en raison de leur identité sexuelle et de genre.

On ne réalise pas à quel point on retient notre souffle jusqu’à ce qu’on n’ait plus à le retenir. C’est comme ça qu’on se sent au Canada, conclut Robert Apgar-Taylor.