Vue de l’exposition « Copistes » au Centre Pomidou-Metz, avec l’œuvre monumentale de Francesco Vezzoli d’après la Maesta de Cimabue. (©Céline Lefranc/Connaissance des Arts)
Donatien Grau, co-commissaire de l’exposition avec Chiara Parisi (directrice du Centre Pompidou-Metz), reconnaît que le pari était « un peu fou ». Donner carte blanche à cent artistes, de vingt à quatre-vingt-dix ans, pour arpenter le Louvre ou ses réserves, choisir une œuvre et en livrer son interprétation, puis fournir un texte pour le catalogue, quel défi en effet ! Le résultat prend des formes très diverses : dessins, tableaux, sculptures, textiles, installations… Et les textes aussi : explication du choix de l’œuvre (Hélène Delprat), description du processus créatif (Nathalie du Pasquier), sept lignes (Martial Raysse) ou deux pages denses (Philippe Parreno), fable, poème…
Djamel Tatah, Sans titre (détail), huile et cire sur toile, 200 x 220 cm, d’après Jeune Orpheline au cimetière d’Eugène Delacroix (©Céline Lefranc/Connaissance des Arts)
Certains artistes ont été vraiment inspirés, s’imprégnant tellement de leur modèle qu’ils sont parvenus à opérer une osmose parfaite entre le sujet d’emprunt et leur style habituel. Dans le très beau tableau de Djamel Tatah, habitué aux références à l’histoire de l’art, seuls les connaisseurs identifient au premier coup d’œil la Jeune Orpheline au cimetière, chef-d’œuvre de jeunesse d’Eugène Delacroix. En élargissant le cadrage du tableau orignal, le peintre a donné au sujet une résonance plus tragique encore. Autre exemple avec Agnès Thurnauer qui, entre des lignes extraites de l’épopée féministe Les Guerrières de Monique Wittig, a glissé la figure centrale de la Liberté guidant le peuple, du même Delacroix.
Sidival Fila, ST 876 (détail), tapisserie en soie tissée à la machine, 538 x 272 cm, d’après la tapisserie Jeu de marelle et cueillette des fruits tissée vers 1500. (©Céline Lefranc/Connaissance des Arts)
L’exposition a été conçue comme un « accrochage sensible », dans une scénographie dépouillée librement inspirée de celles du designer italien Carlo Scarpa. Mais le visiteur n’est pas accompagné dans cette forêt d’oeuvres. Pas de thèmes ni de sections pour le guider, pas de textes de salle pour l’éclairer. Et sur les cartels, certes commentées, on peine à trouver la référence à l’œuvre du Louvre à l’origine de chaque projet. Pourquoi ne pas avoir imprimé sur chaque cartel, même en petit, la photo du tableau, de la sculpture ou de la tapisserie du musée parisien ? Elles figurent dans le catalogue, mais encore faut-il l’avoir pendant la visite, et l’exercice est fastidieux. Si l’exposition devait faire ensuite étape dans un autre musée, tout cela mériterait des ajustements.
Damien Deroubaix, M.A.G.A, 2025, panneau de bois et queues de renards, 105 x 122 cm, d’après Les Mendiants de Pieter Brueghel l’Ancien. (©C. Lefranc/Connaissance des Arts)
Si la reprise de l’Hermaphrodite endormi par Jeff Koons ou celle du Vœux à l’amour de Fragonard par Claire Tabouret sont très « instagrammables », d’autres œuvres dégagent un charme plus subtil. Comme la tapisserie mille-fleurs tissée vers 1500, dont les motifs ont été reproduits, découpés et rassemblés par Sidival Fila pour composer une gigantesque mosaïque textile abstraite. Comme les deux odalisques d’Ingres parfaitement réinterprétées par Ghada Amer. Ou Les Mendiants de Pieter Brueghel l’Ancien revus et corrigés par Damien Deroubaix, affublés de drapeaux américains inversés, symboles du « retournement de démocratie » que connaissent les États-Unis de Trump.
Giulia Andreani, trois œuvres d’après La Dentellière de Vermeer, une Tête de femme de l’Ecole de Léonard de Vinci, et le Portait présumé de Madeleine de Marie-Guillemine Benoist. (©C. Lefranc/Connaissance des Arts)
Giulia Andreani a misé sur le renversement de la technique et du format pour remettre en question la hiérarchie des images, des médiums et des genres. Ainsi, elle par exemple agrandi La Dentellière de Vermeer, une toile minuscule, pour en faire un grand format d’un mètre cinquante de côté, et l’a réalisée à l’aquarelle, technique habituellement utilisée pour les études préparatoires. Quant à Luigi Serafini, il a été « happé » par le Pont de Narni de Corot, qu’il s’est souvenu avoir vu enfant, avec son père, en route vers la maison de sa grand-mère adorée située dans la campagne d’Amelia. Il a reconstitué son souvenir, en glissant une photo de famille sous une réplique de la couche picturale du tableau.
6/7
Où sont les fraises ?
Michaël Borremans, Le Panier de fraises (à gauche) et Poires, noix et verre de vin (à droite), d’après les tableaux de Jean-Baptiste-Siméon Chardin. (©Céline Lefranc/Connaissance des Arts)
Chardin a beaucoup inspiré les artistes sollicités. Dans une petite salle centrale, on découvre une réinterprétation « hypnotique et baroque » de la Raie par Glenn Brown, et ces deux étranges « paysages » vides. Renseignements pris, il s’agit d’une nature morte aux poires de Chardin, et du fameux Panier de Fraises entré à grands frais au Louvre en 2024, mais sans les fruits. Humour ou provocation, on hésite sur l’intention de l’artiste Michaël Borremans. La disparition est également au centre de La Liberté guidant le peuple de Delacroix revue par Bertrand Lavier, désertée par ses personnages mais pourvue d’un vrai drapeau français et de vraies armes, qui permettent de « découvrir le tableau sans le tableau », dans sa matérialité.
Laurent Grasso, Studies into the Past, huile sur toile, 115 x 145 cm © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy of the artist and Perrotin © Studio Laurent Grasso
« Copistes », au Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, Metz, jusqu’au 2 février 2026