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France Télévisions – Rédaction Culture

Publié le 17/08/2025 17:20

Mis à jour le 17/08/2025 17:32

Temps de lecture : 4min

Portrait de la romancière afro-américaine Jesmyn Ward, New York, le 29 mars 2017. (BEOWULF SHEEHAN)

Portrait de la romancière afro-américaine Jesmyn Ward, New York, le 29 mars 2017. (BEOWULF SHEEHAN)

La romancière afro-américaine signe un nouveau roman à la fois sombre et lumineux, porté par un trio de femmes puissantes.

Jesmyn Ward est la première femme, et la première Afro-Américaine doublement lauréate du National Book Award. Elle a reçu ce prestigieux prix une première fois en 2011 avec Bois sauvage, paru en France en 2012, et une seconde fois avec Le Chant des revenants en 2017. Nous serons tempête, son nouveau roman, paraît jeudi 21 août aux éditions Belfond.

Annis grandit parmi les esclaves dans une plantation de Caroline du Nord. Sa mère lui apprend à se battre, et à reconnaître les plantes, les vertueuses comme les dangereuses. Vendue par le maître, violeur et géniteur de sa fille, sa mère quitte la plantation.

Annis se console dans les bras de Safi, une autre jeune esclave. Quelque temps plus tard, elle est à son tour enchaînée pour être vendue. Commence alors un long et dangereux périple vers la Louisiane. La jeune fille trouve la force de survivre dans l’espoir de retrouver sa mère, les visites de l’esprit de sa grand-mère Aza, et dans les amitiés qu’elle tisse avec ses sœurs d’infortune.

C’est avec un souffle toujours aussi vibrant que la romancière Jesmyn Ward revient, six ans après Le Chant des revenants, récompensé par le Prix America en 2019. Dans ce texte tempétueux, l’écrivaine plonge aux racines de l’histoire de sa communauté, comme une pierre ajoutée à son œuvre pour mieux la faire entendre.

Jesmyn Ward nous raconte dans ce nouveau roman une histoire de transmission en dressant le portrait de trois générations de femmes, héritières d’une lignée de guerrières au service des rois du Dahomey avant d’être asservies. De la grand-mère fantôme et protectrice, à la mère désireuse de donner des armes à sa fille pour se défendre, à la fille qui s’en empare au-delà des espérances de sa mère, jusqu’à la génération suivante, en gestation, germe d’une vie libre à venir.

L’écrivaine n’élude aucun des aspects les plus sombres de l’entreprise d’asservissement orchestrée par les Blancs, de la plus grande, à la plus petite échelle. Mais la romancière livre aussi un roman lumineux, à travers le destin d’Annis, une figure féminine puissante, qui symbolise la richesse d’un peuple, et le combat d’une communauté pour reconquérir sa liberté. Annis convoque Dante, qu’elle appelle « l’Italien », les cercles de l’enfer, et le chemin vers « les belles choses que le ciel porte ». « Je veux m’élever. Je veux les étoiles », espère la jeune fille.

On retrouve le style de Jesmyn Ward, un naturalisme aux accents lyriques, auquel s’ajoute ici une dimension onirique, une forme de réalisme magique, quasi mystique, qui fait résonner son roman comme un long chant homérique en version féminine, avec en basse continue le chœur des martyrs.

« Nous serons tempête » de Jesmyn Ward, traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé, éditions Belfond, 240 pages, 22 euros

Couverture du livre

Couverture du livre « Nous serons tempête » de Jesmyn Ward, publié le 21 août 2025. (BELFOND)

Extrait : « Quelques mois plus tard, quand j’aperçois l’Homme de Géorgie à l’entrée du chemin qui mène des cases aux champs, et mon maître auprès de lui qui nous pointe du doigt toutes les deux, j’enfonce mes ongles dans la main de ma mère. Je dis « Maman, non ». Je dis « viens », en écho à la première fois où elle m’a poussée à me battre. Je dis, « s’il te plaît ». Je me retourne dans la direction des cases, des bois, de la clairière. Je tire sur le bras de ma mère pour l’entraîner, mais elle refuse. Elle s’immobilise et m’attrape par le col. Des larmes coulent déjà sur son visage, mais elle n’essaie pas de les essuyer, de faire disparaître le vernis de son chagrin. Le ciel est chargé de nuages, l’air d’une pluie imminente, dont l’odeur m’écœure. Ma mère ne voit rien d’autre que moi. Elle passe les mains dans ses cheveux, puis dans les miens, et un objet pointu griffe mon cuir chevelu : le poinçon d’ivoire. Ensuite, elle tient mon visage face au sien et je ne sens plus que la pression de ses paumes sur mes joues, sur mes oreilles. » (page 29).