« Une société se juge à l’état de ses prisons », écrivait Albert Camus. Que dirait-il de la nôtre?
Ces derniers mois, la France enchaîne les records de surpopulation carcérale. 84.951 détenus recensés en juillet, pour 62.509 places disponibles.
Soit 135,9% d’occupation en moyenne. Si la maison d’arrêt de Grasse navigue dans ces eaux-là, celle de Nice a flirté avec la barre des 200%. Au dernier recensement, elle abritait 647 détenus pour 356 places. Soit 181,7% d’occupation.
Cette réalité, « Zoran » la vit, ou plutôt la subit, comme les quelque deux cents personnels pénitentiaires de la prison niçoise. Un établissement que ce quinqua connaît « des sous-sols jusqu’au toit », fort d’une vingtaine d’années d’expérience.
Sous pseudonyme, Zoran a accepté de raconter son quotidien carcéral, accompagné par Nordine Souab, délégué du syndicat UFAP-UNSa Nice.
Zoran est un ancien militaire. Il a rejoint « la pénit’ » en espérant y retrouver ce qu’il a aimé à l’Armée: « Le côté carré. La fonction publique. C’était important de servir mon pays. »
Aujourd’hui encore, il « aime [s] on boulot, rendre service à [s] est collègues. J’estime apporter quelque chose à la France, même si l’image se dégrade. » Et même si le quotidien impose de composer sans cesse avec la réalité carcérale.
« Les détenus sont beaucoup plus demandeurs aujourd’hui »
Cette réalité se raconte en chiffres. 9m2, comme la taille de cellules théoriquement individuelles où cohabitent jusqu’à trois détenus. 32, comme le nombre de cellules par étage.
La maison d’arrêt de Grasse est l’autre pôle pénitentiaire des Alpes-Maritimes. Photo Justine Meddah.
Quatre, comme le nombre de détenus dans les plus grandes cellules, mesurant 15 à 16m2. « On est en surpop’, résume Zoran. En tant que surveillant, on a plus la pression. Ils ont du mal avec le ‘non’». Nordine Souab acquiesce: « Les détenus sont beaucoup plus demandeurs aujourd’hui qu’il y a vingt ans. »
Zoran a travaillé au parloir. À l’étage. À la fouille. Ou encore à l’hôpital de jour. Il connaît « les moments collectifs, et ceux où on est seul ». C’est parfois le cas lors des fouilles, théoriquement réalisées en binôme.
« On se retrouve seul pour 95 détenus à gérer la coursive, témoigne Nordine Souab. C’est dangereux. Énergivore. On fait en sorte que les détenus aient plus de mouvements. D’où plus de sollicitations. »
On est bien loin ici de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), la première prison de haute sécurité ouverte en France – un souhait du garde des Sceaux Gérald Darmanin. C’est là qu’une centaine de narcotrafiquants ont été transférés.
Parmi eux figure Mohamed Amra, arrivé de la Sarthe en hélicoptère. Son évasion spectaculaire du 14 mai 2024, lors de l’attaque du convoi pénitentiaire au péage d’Incarville (Eure), a créé un électrochoc.
« Dans la pénit’, il y a un avant et un après Incarville »
Ce drame, tous les agents de la pénitentiaire l’ont vécu dans leur chair. « Au niveau de la pénit’, il y a un avant et un après. Le ministre a pris des décisions radicales », constate Nordine Souab.
S’il reconnaît quelque avantage à regrouper les profils les plus à risque, il reste sceptique quant à l’étanchéité d’un tel établissement, aussi sécurisé soit-il.
Pour le syndicaliste, la priorité est ailleurs: « On a 15 à 20% de détenus avec des troubles psychiatriques. Nous, on demande des établissements spécialisés. »
Autre coup de semonce: la série d’attaques du printemps contre des établissements pénitentiaires. Celui de Nice y a échappé. « Mais à Toulon, ils ont tiré sur la porte à la kalachnikov. Une collègue a failli se prendre une tête! On est passé au stade supérieur », estime Nordine Souab.
« Je sais leur répondre »
Pas de quoi mettre la boule au ventre de Zoran, en agent expérimenté. « Sinon j’aurais quitté ce boulot. Dès que je sors, je zappe. l’extérieur, je ne parle pas de la pénitentiaire. »
Dernièrement, un surveillant aurait été menacé au supermarché. Il aurait été transféré depuis. « Mais beaucoup n’osent pas en parler, constate Zoran. Et là, c’est un problème… »
Lui-même a déjà été agressé physiquement par un détenu qu’il sortait du quartier disciplinaire. Les agressions verbales, il connaît aussi. « Mais je ne dépose pas plainte; je sais leur répondre. Ils testent jusqu’où ils peuvent aller. »
Tenter d’imposer le respect de la fonction est un défi quotidien. Même si avec la plupart des détenus, les relations restent très correctes. « Il y en a avec qui on peut discuter, voire rigoler, témoigne Zoran. J’ai vu un type s’en sortir et devenir coach sportif. Perso, ça me fait super plaisir! »