Désormais, le destin des trois charnières possibles en sélection sera lié, puisqu’elles sont toutes réunies en club, à Toulouse, Bordeaux-Bègles et La Rochelle. C’est pourquoi on fait le point sur les chances de chacune, en vue, déjà, de la tournée d’automne.
Les deux titulaires… et un joker de luxe
Le dernier Tournoi des 6 Nations a été riche en enseignements concernant le statut d’Antoine Dupont et Romain Ntamack chez les Bleus. Pour le premier cité, pas l’ombre d’un doute quant à son côté indispensable dans l’esprit de Fabien Galthié. Seule une grave blessure l’a éjecté du XV de départ. Pour le second, ce fut une tout autre histoire. Pas au mieux physiquement et exclu lors de la première rencontre face au pays de Galles, Ntamack a directement retrouvé une place de titulaire. S’il fallait encore en convaincre certains, le sélectionneur tricolore l’a fait : la charnière titulaire des Bleus est celle qui est formée par les deux Toulousains. Aucun doute là-dessus. Installés depuis 2019 en sélection, « Toto » et « NTK » ont été associés à vingt-neuf reprises. Au niveau des statistiques, le duo compte plus de 80 % de victoires lorsqu’ils jouent ensemble avec le maillot bleu sur les épaules. En point d’orgue, le grand chelem de 2022 lorsque les deux bonshommes furent magnifiques pendant cinq rencontres afin de porter le XV de France. La question est celle-ci : peuvent-ils être délogés ? Ici aussi, la réponse est facile concernant le demi de mêlée. Considéré comme le meilleur du monde à son poste sans trop de contestation possible, le numéro 9 lui est promis.
Romain Ntamack et Antoine Dupont lors de la victoire du XV de France en Irlande.
Icon Sport – Sandra Ruhaut
En ce qui concerne l’ouverture, le débat semble un (tout) petit peu plus ouvert. Romain Ntamack, a priori libéré de douleurs récurrentes à un genou, va jouer gros dans les prochains mois sur la scène internationale. Même s’il semble encore intouchable, l’ouvreur doit faire face à une rude concurrence : Matthieu Jalibert, Antoine Hastoy et surtout… Thomas Ramos. Ce dernier, jamais décevant lorsqu’on lui a donné les clés du camion à l’ouverture, est le numéro deux dans la hiérarchie des ouvreurs dans l’esprit du staff français. Devenu meilleur réalisateur de l’histoire du XV de France, Ramos est réel prétendant au numéro 10 chez les Bleus. De là à le voir tout chambouler pour s’installer aux côtés de Dupont ? Pas certain. Une chose est sûre, si jamais les cartes venaient à être rebattues prochainement, les automatismes ne manqueront pas pour la charnière Dupont-Ramos, qui a déjà fait de nombreux dégâts en Top 14. C’est un problème de riche pour Fabien Galthié…
Lucu – Jalibert, six ans de complicité
Ils se connaissent depuis 2019, et depuis six ans, ils animent le jeu de l’UBB. Ce qui représente, environ 120 matchs dont trois finales majeures, deux en Top 14, une en Coupe d’Europe. Les deux hommes se connaissent par cœur évidemment, avec des rôles bien définis et complémentaires. Maxime Lucu est passé maître dans l’art du jeu au pied d’occupation, une arme devenue essentielle dans le rugby des années 2020. Matthieu Jalibert apporte évidemment sa vitesse, sa vivacité et son aisance technique ébouriffante. L’un applique un plan de jeu avec lucidité, il sait se montrer gestionnaire. L’autre déclenche les offensives propres à faire exploser toutes les défenses. La sagesse et la folie.
Matthieu Jalibert et Maxime Lucu avant le match de poules du Mondial 2023 contre l’Italie.
Icon Sport – Sandra Ruhaut
Les deux lutins bordelais ont déjà joué en bleu au départ d’un match ; à six reprises entre 2022 et 2024. Leur dernière association ne fut pas un franc succès. Elle correspond au match nul 13-13 concédé par les Français face aux Italiens à Villeneuve-d’Ascq lors du tournoi 2 024. Mais le duo Lucu-Jalibert a fait gagner quatre fois le XV de France, deux fois contre le Japon sur son sol (2 022), une fois contre l’Italie en phase de poule de la Coupe du monde et une fois en Écosse lors du Tournoi 2024. En revanche, le duo a concédé une défaite assez nette à Marseille face à l’Irlande en ouverture de ce même Tournoi.
Évidemment, ce duo pourrait très bien, dans l’absolu, être à nouveau transposé en équipe de France surtout après la saison extraordinaire de Maxime Lucu et surtout si l’UBB continue de flirter avec les titres. Galthié considère Lucu comme un vrai cadre. Mais Antoine Dupont aura toujours de l’avance sur Lucu dans l’esprit de Galthié, ce qui donne par ricochet un avantage à Ntamack si l’on veut mettre en avant la complicité de club. Ntamack aussi a une avance dans l’esprit de Galthié sur Jalibert à cause de la défense. Mais en cas de péripéties diverses, la « charnière 33 » tiendrait forcément la route, la complicité des deux hommes saute aux yeux et peu d’entraîneurs se réjouissent de les affronter.
Le double défi de Le Garrec et Hastoy
« Mon objectif c’est de gagner des titres et de laisser une trace dans ce club. » Comme il l’a exprimé dans une interview au site du club, Nolann Le Garrec (23 ans, 14 sélections) est arrivé avec une ambition maximale à La Rochelle. Après huit ans au Racing 92, le demi de mêlée a choisi Deflandre comme nouveau point de départ de sa carrière. Les Maritimes ne pouvaient espérer de meilleur successeur à Tawera Kerr-Barlow, dont l’influence sur la progression et les succès du club avait été déterminante. Sa vista, sa vitesse, son culot et son sens de la finition (14 essais en 25 matchs avec le Racing la saison passée…) suscitent de vives attentes chez les Rochelais. À commencer par Antoine Hastoy (28 ans, 11 sélections), tout heureux de disposer d’un alter ego résolument tourné vers un rugby d’attaque : « On s’entend vraiment très bien tous les deux, évoquait l’ouvreur, depuis la Nouvelle-Zélande où ils avaient débuté ensemble le troisième test. Je pense que ça va se voir sur le terrain. On va construire ça. C’était bien de pouvoir avoir ce petit avant-goût. »
À quoi peut-on s’attendre, alors ? Si le pack retrouve sa consistance sur la durée, le duo d’animateurs-buteurs pourra montrer l’étendue de son talent et de sa palette technique. Les deux n’en manquent pas, assurément, et on leur imagine volontiers une belle complicité. La principale inconnue tiendra à leur capacité à trouver de la constance. Nolann Le Garrec, capable des plus belles fulgurances mais encore jeune, sait qu’il sera attendu au tournant sur ce point ; à n’en pas douter, Antoine Hastoy – qui sort d’une saison avec des hauts et des bas mais qui a prouvé sur la fin qu’il n’avait en rien perdu de son flair offensif – s’est fixé ce défi de la régularité. Leur double conquête passe par là : le retour de La Rochelle au plus haut niveau et l’optimisation de leurs chances de jouer en Bleu. À ce sujet, le demi de mêlée, très performant lors du Tournoi 2024, est confronté à la rude concurrence d’Antoine Dupont et Maxime Lucu tandis que l’ouvreur n’a jusqu’à présent jamais réussi à ébranler la hiérarchie. Rien que de semer le doute dans l’esprit des têtes pensantes de Marcoussis serait une première victoire. Quoi qu’il en soit, leurs destins sont désormais liés à plus d’un titre.