Canular savoureux, performance artistique ou complotisme gratiné ? Cet été, une rumeur kafkaïenne agite la ville de Chicago. Apparu le 28 juillet sur Instagram, un collectif baptisé Man in Bean réclame à cor et à cris la libération d’un homme qu’elle prétend piégé depuis 21 ans à l’intérieur de Cloud Gate – une sculpture du célèbre artiste britannique d’origine indienne Anish Kapoor (né en 1954), installée entre 2004 et 2006 dans le Millennium Park à Chicago et surnommée « The Bean » (« Le Haricot » en français) en raison de sa forme caractéristique.

Lourde de 110 tonnes, cette sculpture monumentale de 20 mètres de long et 10 de haut – dont la surface argentée et bombée (faite de plaques d’acier inoxydable poli soudées entre elles) reflète le ciel et la ville comme un miroir – est depuis 20 ans l’une des attractions phares de Chicago. Le 31 juillet dernier, le collectif Man in Bean a manifesté devant l’œuvre, muni d’un mégaphone, de tracts et de pancartes exigeant l’extraction immédiate du prisonnier.

La page Instagram du groupe, suivie par plus de 36 000 personnes, ressemble à une performance surréaliste. « IL EST ICI », indique la légende de leur première publication – un pictogramme sur fond rose représentant un homme à l’intérieur d’un haricot. Portant des vêtements noirs et des lunettes de soleil, les six jeunes membres de ce « collectif non-violent » affichent des visages impassibles sur des photographies frontales en noir et blanc.

« Nous demandons la libération immédiate de l’homme piégé à l’intérieur du Haricot »

Sans apporter de preuves, le groupe avance de graves accusations. « En 2004, Anish Kapoor, l’architecte du Bean, a volé un bébé et l’a placé à l’intérieur. Nous demandons la libération immédiate de l’homme piégé à l’intérieur du Haricot depuis 20 ans », affirme-t-il. L’individu en question vivrait « dans un isolement total » derrière un miroir sans tain, avec « des bouches d’aération et d’alimentation qui lui permettent de vivre une vie misérable à l’intérieur de la structure chromée ». « Lorsque le soleil frappe le Bean de la bonne manière, on peut voir la silhouette floue de l’homme », ajoutent-il.

« Il n’y a rien de drôle à ce qu’un homme soit retenu captif dans une structure métallique géante comme Cloud Gate. »

L’affaire a pris de telles proportions que le conseil municipal de Chicago s’est vu contraint de réagir. « Il n’y a aucun homme piégé depuis 21 ans à l’intérieur de Cloud Gate », tranche le conseiller municipal Brendan Reilly dans un communiqué. « J’apprécie autant que n’importe qui les parodies amusantes, ajoute-t-il. Cependant, ce canular en ligne a entraîné une forte augmentation des appels à mon bureau qui nous empêchent de faire notre travail ».

Le collectif, lui, persiste et signe. « C’est un fait. Nous ne sommes pas performatifs, nous ne sommes pas satiriques et nous ne sommes pas un mème. Il n’y a rien de drôle à ce qu’un homme soit retenu captif dans une structure métallique géante comme Cloud Gate » rétorque-t-il dans une interview accordée à Time Out Chicago.

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10 dollars pour un séjour dans « The Bean »

Si Anish Kapoor n’a pas émis de commentaire, d’autres ont sauté sur l’occasion. Son ennemi juré, l’artiste Stuart Semple, qui s’était déjà opposé à lui avec humour suite à son achat du monopole d’utilisation du Vantablack (l’ancien noir le plus noir jamais créé), a ainsi réagi en créant un site web baptisé « AirB&Bean » : une fausse annonce inspirée de la plateforme Airbnb permettant de payer dix dollars contre un « séjour » dans le haricot en compagnie du fameux hôte – l’acheteur se voit alors remettre une clé du haricot signée et numérotée, ainsi que des jelly beans (bonbons en gelée en forme de haricots). Plus insolite encore, une chaîne de pizzerias locale, Lou Malnati’s, a publié une déclaration affirmant avoir livré de nombreuses fois des repas à ce mystérieux occupant, qui serait enregistré chez eux en tant que « Man in the Bean please free m » (« Homme dans le Haricot, s’ils vous plaît libérez-m ».

Un précédent canular impliquant un homme installé dans une sculpture new-yorkaise

Le collectif se serait-il inspiré d’une plaisanterie datant d’il y a douze ans ? En 2013, une campagne de publicité virale pour une application de méditation, sous la forme d’un faux documentaire intitulé « Man in a Cube », prétendait qu’un homme de 37 ans prénommé Dave vivait volontairement à l’intérieur de la sculpture Alamo (1967), dite aussi « Astor Place Cube » ou « The Cube », de Tony Rosenthal – un cube en acier Corten installé sur Astor Place à Manhattan (New York). Dans la même veine, l’artiste français Abraham Poincheval s’était fait enfermer pendant dix jours, en juillet 2024, dans une bouteille géante en bord de Seine. Du canular à l’art, il n’y a parfois qu’un pas !

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