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Ville magnifique, fière de son patrimoine et de ses quais, Bordeaux rayonne dans le monde avec une lumineuse histoire qui doit à présent éclairer des pages plus sombres, jamais encore sérieusement regardées.
La traite négrière et l’esclavage font partie de notre histoire. Les milliers de navires partis de Bordeaux qui ont traversé l’Atlantique pour transporter des êtres humains réduits en marchandises sont une des sources de la prospérité de la ville. Ces faits ne sont pas une opinion : ils sont inscrits dans les archives et qualifiés par des législations nationales et internationales. Les ignorer, c’est laisser une partie de nous-mêmes dans l’ombre.
C’est pour combler ce vide qu’existe le projet de Maison des Esclavages et Résistances de Bordeaux. Un lieu culturel et citoyen qui racontera cette histoire dans toute sa complexité : les crimes, les souffrances, mais aussi les résistances, les luttes pour la liberté et les héritages culturels qui en sont issus.
Dans nos sociétés traversées par tant de divisions, nous avons en effet un besoin vital de lieux qui nous ressemblent et nous rassemblent. Des lieux qui ne soient ni des temples de l’oubli, ni des tribunaux du passé, mais des espaces où la mémoire devienne lumière.
Et qui mieux que Bordeaux pourrait abriter un tel lieu. Deuxième port négrier et premier colonial français, la capitale de la Nouvelle-Aquitaine porte les traces indélébiles de cette histoire universelle du combat pour l’émancipation.
L’installation et le financement par la Ville de Bordeaux d’une mission de préfiguration pour la Maison Esclavages et Résistances, dont le rapport a été rendu au maire de Bordeaux en 2023, est en soi une forme de légitimation politique. C’est déjà une victoire populaire et citoyenne qui officialise le projet en donnant la parole aux habitants.
Ce n’est donc plus l’idée de quelques-uns : c’est une maison de mémoire que l’on construit ensemble, pour toute la ville. Elle signifie que les élus du premier port colonial français reconnaissent la nécessité de ce lieu et ouvrent un processus où la parole des habitants, des historiens, des associations et des acteurs culturels est sollicitée.
De 2022 à 2023, cette idée, jadis portée par quelques militants est devenu un projet public, co-construit, qui a pris forme grâce aux contributions de toutes et tous. La mobilisation des différentes collectivités locales, le soutien de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, les auditions de personnalités dont l’expertise est reconnue au niveau national et la consultation citoyenne ont renforcé sa légitimité et prouvé que ce projet appartient à l’ensemble des Bordelaises et des Bordelais.
Ce projet n’est donc pas un musée figé. C’est une maison ouverte, un lieu de dialogue et de création, où les voix d’hier rencontrent les voix d’aujourd’hui pour construire un avenir commun.
Au fil des années, j’ai pris acte de la nécessité d’un temps long pour établir un consensus autour d’un projet humaniste dont le temps est venu. Sous la Droite, pendant 22 ans et sous la Gauche, depuis 2020, avec les descendants d’armateurs négriers comme avec les descendants des esclavisés, nous ne nous sommes pas résignés. Car c’est bien le dialogue qui a permis, par le passé, de surmonter les dénis et de bâtir l’embryon de reconnaissance, garant de vérité et de réparation que nous avons aujourd’hui.
Ma détermination reste donc intacte. Ce travail se poursuivra, à l’occasion du rendez-vous électoral municipal à venir, dans l’écoute de chacun et conscient de l’intérêt des bordelais. Sans céder à la menace du conservatisme, du mépris, du racisme ou du blocage.
Contrairement à ce que je peux lire, ce projet ne ravive aucune tension. C’est le silence et le déni qui divisent et violentent. La vérité quant à elle apaise et permet le dialogue. Ce lieu, cette Maison, n’accusera personne, il rassemblera tout le monde. Il s’adressera aux écoliers, aux familles, aux chercheurs et aux touristes.
A ceux qui redoutent le coût d’un tel établissement, je dis que c’est un investissement pour l’avenir. Des villes comme Nantes ou Liverpool ont vu leurs musées de mémoire devenir des atouts touristiques, éducatifs et économiques majeurs. Nous irons chercher des financements régionaux, nationaux et privés pour en limiter l’impact sur les finances locales.
Ce projet est aussi loin d’être partisan. Il ne s’adresse pas à une communauté, mais à toute la ville. Parce que notre histoire commune, avec ses parts d’ombre et de lumière, nous appartient à tous.
Enfin à ceux qui arguent qu’un musée sur le sujet existe déjà, je répète que la Maison des Esclavages et Résistances viendra compléter et enrichir l’offre culturelle bordelaise, pas la concurrencer. Il y s’agira de dépasser la simple exposition patrimoniale pour en faire un lieu vivant, interactif et citoyen.
Quelle autre alternative sinon ? Le statu quo ? L’impasse ? La confrontation ?
Je sais pouvoir compter sur la détermination des membres de la mission de préfiguration qui ont travaillé à ce projet. Nous savons aussi pouvoir compter sur une large part de la population bordelaise, dans toute sa diversité, qui aspire à vivre ensemble dans la conscience, la reconnaissance et dans la réparation des erreurs du passé.
Dire la vérité aux bordelais, c’est savoir que, sans prise en compte sérieuse et investissement sur la mémoire de l’esclavage, Bordeaux ne sera jamais apaisée et verrait les fortes inégalités sociales et culturelles se creuser.
Dans les quartiers, la mémoire de l’esclavage serait cet outil d’apaisement puissant. En reconnaissant les blessures du passé, on répond au besoin de vérité et de justice. En racontant aussi les résistances, les solidarités et les héritages culturels, on transforme une histoire douloureuse en fierté partagée. La Maison des Esclavages et Résistances sera ce lieu où l’on se parle, où l’on apprend ensemble, et où la mémoire devient un pont entre les habitants et le reste de la ville.
Je le redis : La Maison Esclavages & Résistances est une opportunité extraordinaire et historique.
Au cours des prochains mois, nous serons en campagne électorale pour le projet de Maison Esclavages & Résistances. De Septembre 2025 à Mars 2026, nous irons à la rencontre des bordelais.e.s mais aussi de tous les candidats aux élections municipales de la métropole bordelaise.
Je regretterais qu’une partie de l’élite bordelaise choisisse de tourner le dos au rapport de la mission de préfiguration de la Maison Esclavages & Résistances car ce travail n’est pas tombé du ciel. Il est un compromis historique, citoyen et politique, fruit de 27 années d’engagement qui ont transformé l’histoire bordelaise dans son rapport avec le « Tout-Monde ».
Aux candidats des prochaines élections municipales, comptables du devenir de Bordeaux, je rappelle que l’humanisme n’est pas une idée abstraite : c’est une pratique quotidienne. Reconnaître l’histoire de l’esclavage, c’est poser un acte de vérité et de justice. C’est dire aux descendants de ceux qui ont souffert : votre histoire compte, votre dignité compte. C’est dire à toute la société : nous avons tous à gagner à nous comprendre.
Nous appelons chaque citoyenne et chaque citoyen à soutenir ce projet. Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’honorer un passé, mais de préparer un avenir où nos enfants, quels que soient leurs origines, se reconnaîtront dans la même histoire : celle de l’humanité en marche vers l’égalité.
Par votre voix, vos signatures, votre engagement, vous pouvez faire en sorte que Bordeaux devienne non seulement une ville de patrimoine, mais aussi une ville de mémoire et de rassemblement.
Karfa Diallo, Président de la Mission de Préfiguration de la Maison esclavages & Résistances