L’URSS s’est ainsi trouvée prise à son propre piège, et la Russie, qui en est la continuatrice à l’Onu et sur la scène internationale, a dû composer avec une Ukraine devenue pour de bon un État souverain. Cette réalité était, cependant, difficile à accepter par une partie au moins de la classe politique et de la population russes, qui voit dans l’Ukraine – parfois appelée « la petite Russie » – le berceau de la civilisation russe et, par conséquent, une partie inaliénable du territoire historique de la Russie. Plus concrètement, des enjeux stratégiques, comme le contrôle de la flotte de la mer Noire et du port de Sébastopol (dans cette Crimée transférée de la Russie à l’Ukraine par Khrouchtchev en 1954), dressaient inévitablement Moscou contre Kiev.

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C’est pour apaiser de prévisibles tensions que l’Ukraine fut, au côté de la Russie, un des moteurs de la création, en décembre 1991, de la Communauté des États indépendants, une structure qui devait réunir les ex-républiques soviétiques dans un nouvel espace commun. Le texte fondateur consacrait l’intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières existantes au sein de la CEI, mais la tentation était d’autant plus grande, pour le Kremlin, de voir en celles-ci des limites administratives intérieures que ces « frontières » devaient de toute manière rester « ouvertes ».

L’arme du gaz et du pétrole

Que la Russie post-soviétique ait fondamentalement contesté, voire nié l’existence d’une Ukraine indépendante, les années 1990 et 2000 en ont apporté la preuve. La dépendance énergétique de l’Ukraine à l’égard de la Russie n’a cessé d’être un moyen de pression utilisé par le Kremlin pour y influencer les élections et contraindre ses gouvernements. La Russie a joué sur le prix des livraisons de gaz et de pétrole, menaçant parfois de plonger l’Ukraine dans le froid en plein hiver, pour parvenir à ses fins.

L’Accord trilatéral de 1994, passé entre la Russie, l’Ukraine et les États-Unis, en vertu duquel Kiev renonçait à l’arsenal nucléaire légué par l’URSS en échange de (vaines) garanties de sécurité, devait logiquement rassurer Moscou – un sacrifice qui doit être amèrement regretté aujourd’hui. Des négociations menées dès 1992 organisèrent le partage, moitié-moitié, de la flotte de la mer Noire entre Russes et Ukrainiens, et consacrèrent, en 1997, l’usage exclusif de la base navale de Sébastopol par la Russie pour une durée de vingt ans. La concession fut prolongée de vingt-cinq ans jusqu’en 2042 par les accords de Kharkiv d’avril 2010 – en échange d’un… rabais sur le prix du gaz russe.

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Dans l’intervalle, les accords de Sotchi, en 1995, avaient confirmé l’appartenance de la Crimée à l’Ukraine. Le 31 mai 1997, Boris Eltsine et Leonid Koutchma signèrent, à Kiev, un « grand traité d’amitié, de coopération et de partenariat » aux termes duquel l’Ukraine était formellement reconnue par la Russie en tant qu’État « égal et souverain ». La frontière commune était déclarée inviolable, l’intégrité territoriale des deux pays était réaffirmée, et chacun des signataires s’interdisait de déclarer la guerre à l’autre. En janvier 2003, un pas de plus était franchi par Koutchma et, cette fois, Vladimir Poutine, avec un traité reconnaissant la frontière existante. Onze ans plus tard, en février-mars 2014, Moscou annexait la Crimée – une conquête grandement facilitée par la présence de l’armée russe à Sébastopol.

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La question de la mer Noire réglée par la manière forte, le Kremlin dut invoquer une autre raison pour justifier sa politique d’agression à l’égard de Kiev. Il était tout trouvé avec le sort de la minorité russophone – un quart de la population ukrainienne a le russe pour langue maternelle ou principale. C’est dans le Donbass (les oblasts de Donetsk et Louhansk), un bassin industriel fortement russifié, que Poutine décida de porter le fer en prétendant secourir ses « compatriotes opprimés ». Une guerre qui portait en germe celle d’aujourd’hui.