Et si le strass était un outil de résistance ? Aux Abattoirs de Toulouse, Mickalene Thomas, artiste star de la scène américaine, célèbre les identités noires et les amours queer dans des peintures aux textures chatoyantes, rehaussées d’émail et de paillettes. « All About Love » est la première grande rétrospective en France de cette figure de l’art contemporain classée par le magazine Time parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde. Peintures, collages, photographies, vidéos, installations façon period rooms : chaque œuvre bouscule les codes de l’histoire de l’art et de l’érotisme noir.

Cette liberté formelle et politique s’enracine dans un parcours singulier. Née en 1971 à Camden dans le New Jersey, Mickalene Thomas grandit dans une Amérique marquée par les tensions raciales. Formée au Pratt Institute de New York puis à Yale, inspirée par les œuvres de Carrie Mae Weems et Faith Ringgold, elle s’est forgé un langage personnel, nourri de culture pop, de souvenirs intimes et d’histoire de l’art.

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« Inverser les rapports de force et de pouvoir »

Mickalene Thomas en 2023 devant « May 1975 », 2019

Mickalene Thomas en 2023 devant « May 1975 », 2019

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Après The Broad à Los Angeles, la Barnes Foundation de Philadelphie et la Hayward Gallery de Londres, « All About Love » achève donc sa tournée à Toulouse dans une version enrichie, orchestrée par Lauriane Gricourt, directrice des Abattoirs, avec la conservatrice Tatiana Rybaltchenko. L’exposition emprunte son titre au livre All About Love: New Visions  (1999) de bell hooks, intellectuelle afro-américaine, figure du féminisme intersectionnel, qui appelle à repenser l’amour comme « moyen d’émancipation et d’affirmation ». Pour Mickalene Thomas, il irrigue tout : « Mon art s’enracine principalement dans la découverte de soi, la célébration, la joie, la sensualité, et dans un besoin de voir des images positives des femmes noires dans le monde ».

Réparti en huit sections – « Déesses noires », « Resist », « Les Lutteuses », « Mémoire domestique »… –, le parcours immerge le visiteur dans une expérience vibrante et intime. Dès l’entrée, le ton est donné avec quatre peintures monumentales de femmes noires aux regards francs, entourées de motifs baroques et de strass éclatants. Ses modèles, ses « muses » – des amies, amantes, proches – sont présentées dans toute leur sensualité, leur autorité et leur puissance. Elles ne subissent pas, elles imposent leur présence. Elles revisitent Édouard Manet, Henri Matisse ou encore Jean-Auguste-Dominique Ingres, mais à leurs conditions. « L’utilisation du strass, c’est une manière de glorifier cette histoire et de sortir des schémas de domination, d’inverser les rapports de force et de pouvoir », souligne Tatiana Rybaltchenko.

Vues de l’exposition « Mickalene Thomas : All About Love » aux Abattoirs, musée – Frac Occitanie, Toulouse

Vues de l’exposition « Mickalene Thomas : All About Love » aux Abattoirs, musée – Frac Occitanie, Toulouse, 2025

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© Les Abattoirs / Courtesy Mickalene Thomas / Photos Cyril Boixel

« Je définis mon travail comme un acte féministe et politique… Je suis noire, queer et femme. »

La photographie, élément central de sa démarche, s’invite aussi dans le parcours. Dans Nus exotiques (2023), elle retravaille des images issues d’un magazine français des années 1950. Repeintes, agrandies, recouvertes de verre teinté, elles interrogent la fétichisation des corps noirs. Cette réappropriation critique de l’image participe d’une stratégie plus large : retourner les représentations dominantes, les déconstruire, les embellir autrement. « Je définis mon travail comme un acte féministe et politique… Je suis noire, queer et femme », souligne l’artiste. Dans sa série « Resist », elle revient ainsi sur les luttes pour les droits civiques aux États-Unis – une mise en lumière de récits souvent invisibilisés.

Un dialogue aussi puissant qu’intime avec l’histoire de l’art

La scénographie, pensée comme un prolongement de l’œuvre, enveloppe le visiteur dans des décors intimes. Reconstitués au cœur de la nef, les salons de sa mère et de sa grand-mère agissent comme autant de portraits domestiques. Plus loin, dans une salle lambrissée aux poufs écarlates, les corps puissants des lutteuses de « Brawlin’Spitfire Wrestlers », série réalisée au début de sa carrière (2005–2007), multiplient « les expressions du désir » en s’inspirant « à la fois de la mythologie des amazones et de la tradition iconographique des lutteuses ».

Vues de l’exposition « Mickalene Thomas : All About Love » aux Abattoirs, musée – Frac Occitanie, Toulouse

Vues de l’exposition « Mickalene Thomas : All About Love » aux Abattoirs, musée – Frac Occitanie, Toulouse, 2025

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© Les Abattoirs / Courtesy Mickalene Thomas / Photos Cyril Boixel

Mais c’est au sous-sol que le dialogue avec l’histoire de l’art prend une toute autre ampleur. Invitée par le musée de l’Orangerie en 2022 dans le cadre de son « Contrepoint contemporain », Mickalene Thomas revient notamment sur son expérience à Giverny. Me As Muse (2016), installation de douze écrans mêlant autoportraits et odalisques réinventées, se déploie sur la voix d’Eartha Kitt évoquant violence et émancipation. L’histoire de l’art y est retournée comme un gant. La beauté, loin d’être un ornement, devient alors un geste radical et sensuel. Un acte d’amour ; et de rébellion.

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Mickalene Thomas. All About Love

Du 13 juin 2025 au 9 novembre 2025

www.lesabattoirs.org