« La voiture, demain, grâce aux progrès techniques et industriels sera, elle aussi, actrice de la transition écologique et du développement durable », écrit Franck Leroy, président du conseil régional, dans la toute première newsletter intitulée « Ça Roule en Grand Est » envoyée par la collectivité au mois de juillet. Hors de question d’exclure la route, par laquelle continuent de transiter 90 % des marchandises malgré la montée en puissance du fret ferroviaire, des enjeux de mobilités.
Pour rappel, au 1er janvier 2025, dans le cadre de la loi 3DS (décentralisation, différenciation, déconcentration), la Région a repris la gestion (transfert de l’État) de 525 kilomètres de routes : RN4, A31, A33, RN44. Des axes stratégiques sur lesquels de grands projets d’investissements sont déjà en cours, quand d’autres sont à venir : au total, 100 millions d’euros par an seront injectés dans ces infrastructures pendant dix ans.
« La voiture sera, elle aussi, actrice de la transition écologique et du développement durable. »
Franck Leroy, président de la Région Grand Est.
L’enveloppe est assurée par un emprunt d’équilibre en attendant de pouvoir se rembourser avec l’instauration d’une éco-redevance dont la mise en place est programmée pour le premier semestre 2027, ainsi qu’avec les 32 millions de droits à compenser versés par l’État au titre du transfert de la gestion. Tout l’argent ainsi dégagé ne pourra servir qu’aux routes et autres mobilités, et à aucun autre poste de dépense de la Région.
De bon augure quand on sait que 50 % du réseau routier national non concédé sont considérés en mauvais état ou nécessitant un entretien. Idem pour 41 % du réseau routier départemental et pour 43 % du réseau routier communal ou intercommunal. L’urgence est donc là, d’autant que des routes en bon état permettent de limiter les émissions de CO2. « Le parc automobile reste majoritairement thermique. En réparant les enrobés, pour les rendre lisses, nous pouvons réduire de 8 % la consommation de carburants », rappelle Thierry Ledrich, président de la Fédération lorraine des travaux publics.
15 centimes du kilomètre
« Concernant l’écoredevance, nous poursuivons la procédure de concertation pour trouver le bon modèle économique. À la rentrée, nous présenterons une étude d’impact et sélectionnerons un opérateur qui s’occupera de la gestion des portiques [ces installations capables de monitorer le passage des poids lourds]. L’appel d’offres, à l’échelle européenne, a été lancé juste avant l’été », confirme Thibaud Philipps, vice-président du conseil régional du Grand Est dédié à la mobilité. Missionné, le cabinet Deloitte planche sur les taux kilométriques. « Nous devrions être en cohérence avec les tarifs affichés en Alsace », dévoile Thibaud Philipps. Soit un tarif qui atteindrait environ 15 centimes d’euros du kilomètre, dont tous les poids lourds de plus de 3,5 tonnes devront s’acquitter. Même les régionaux de l’étape.
« En ce qui concerne l’écoredevance, nous devrions être en cohérence avec les tarifs affichés en Alsace. »
Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est en charge de la mobilité.
« Une directive européenne interdit de faire des discriminations selon la provenance des camions. Mais elle n’empêche pas les compensations… » souffle Thibaud Philipps. Comme une réponse aux dirigeants qui avanceraient comme argument que les entreprises françaises sont déjà plus fortement taxées que celles d’autres pays européens. La collectivité prévoit ainsi d’épauler financièrement les entreprises dans leur transition vers de la mobilité verte. Reste à savoir à quelle hauteur, et si l’objectif sera viable malgré tout pour les entreprises, alors que l’investissement lié à l’acquisition de véhicules électriques ou fonctionnant à l’hydrogène se chiffre à coups de millions d’euros…
© Dossmann / Region Grand Est
En tout cas : « Plus un véhicule est vertueux et moins la taxe qu’il doit payer est importante. Le principe de taxation est complexe, mais il y a un véritable dialogue avec les décideurs du monde économique », précise Thibaud Philipps. En attendant 2027 et la mise en place opérationnelle de cette éco-redevance, le Grand Est a alloué un budget annexe de 90 millions d’euros, sanctuarisé et traçable à destination des investissements sur les axes routiers. Ensuite, jusqu’en 2035, le Grand Est compte bien récupérer un milliard d’euros pour mener ses projets.
Des routes et (beaucoup) de chantiers
Jusqu’ici, l’État investissait un peu plus de 30 millions d’euros par an sur les axes récupérés en gestion par la Région. Soit nettement moins que ce que prévoient Franck Leroy et ses équipes. « Rien que sur les ouvrages d’art, nous investissons 28 millions d’euros en 2025 », pointe Thibaud Philipps. Il y a urgence, avec même un effet rattrapage cette année. Sortis de terre pour la plupart au milieu des années soixante-dix, les ouvrages d’art ont été imaginés pour une circulation calée sur les besoins de l’époque, soit 25 000 véhicules par jour. Or à présent, ce sont entre 80 000 et 100 000 véhicules au quotidien qui passent sur ces installations, les fragilisant un peu plus chaque année. D’autant que les aléas climatiques accentuent la corrosion.
© Elonroad
« L’État n’a pas toujours fait les investissements nécessaires. Nous devons mettre les bouchées doubles. Nous arrivons à des dates anniversaires. Sur certains équipements, si nous repoussons encore les travaux, il y aura des sujets de restriction de la circulation. En orientant nos priorités sur les ouvrages d’art, nous pourrons les rendre opérationnels pour les quarante prochaines années. » Ainsi, le désamiantage du viaduc de Frouard, entre les échangeurs numéro 22 (Frouard) et numéro 23 (Bouxières-aux-Dames) a commencé, avec une phase de réparation qui se poursuivra jusqu’en 2026 visant à renforcer la structure bâtie dans les années 1970. Conduit par la Direction interdépartementale des routes Est (DIR Est), le chantier est financé à hauteur de 21 millions d’euros par la Région Grand Est.
« Nous attaquons la période d’études pour la mise à deux fois trois voies sur l’axe qui relie Metz à Nancy. »
Thibaud Philipps, vice-président de la Région Grand Est en charge de la mobilité.
Toujours sur l’A31, le renforcement du viaduc de Beauregard est engagé depuis la fin de l’année 2024. « Long de 529 mètres et situé sur les communes de Yutz et Thionville, il supporte les deux sens de circulation de l’autoroute ainsi que la bretelle de sortie vers le Luxembourg », rappelle la Région dans sa newsletter. 148 pieux en béton armé, enfoncés à 20 mètres dans le sol viendront soutenir un nouveau mur de consolidation. Sur le pont de Richemont, passant au-dessus de la Moselle entre Guénange et Uckange et sur lequel circulent 20 000 véhicules chaque jour en moyenne, ce sont aussi des travaux de renforcement qui ont été commencés au mois de juin dernier, pour une période de quatre mois. À quelques kilomètres de là, après quatre ans de chantier, le viaduc d’Autreville est quasiment achevé et a déjà pu être inauguré au mois de juin dernier.
Parmi les autres grands dossiers routiers de la Région Grand Est, l’augmentation du nombre de voies sur l’A31 : « Nous attaquons la période d’études pour la mise à deux fois trois voies sur l’axe qui relie Metz à Nancy », lance Thibaud Philipps. Avec 86 000 véhicules par jour dans les deux sens, l’élu est conscient des problématiques. « Aujourd’hui, la file de droite est presque exclusivement dédiée aux poids lourds et celle de gauche aux véhicules légers. Les possibilités de dépassement sont quasi nulles et nous ne sommes donc plus dans une configuration d’autoroute », regrette encore le vice-président alors que la circulation est particulièrement dense sur cet axe, avec des particuliers mais aussi des transporteurs qui l’empruntent tous les jours.
La réalisation de ce chantier estimé à 80 millions d’euros sera facilitée par la largeur du terre-plein central. Les aménagements permettraient en outre de remettre l’axe aux normes, avec des systèmes de récupération et de filtration des eaux de pluie. Sur l’A31 Bis, la maîtrise d’ouvrage Thionville/Luxembourg revient à l’État. Mais la Région s’occupe de la partie sud et de l’échangeur de Brabois. Des investissements avec la Métropole du Grand Nancy sont à l’étude pour reconfigurer l’échangeur et permettre le développement des cars express.
RN4 : 70 millions pour une mise à deux fois deux voies
Il ne manque plus que l’autorisation environnementale pour l’instant en cours d’instruction auprès des services de l’État avant que la RN4 ne soit le théâtre d’un aménagement majeur dont la réalisation n’interviendra pas avant 2030 : la mise à deux fois deux voies sur 7,5 kilomètres sur l’axe entre Cogney, en Meurthe-et-Moselle, et Saint-Georges, en Moselle. Un projet à 70 millions d’euros qui s’inscrit dans l’aménagement global de l’axe Lunéville-Phalsbourg. Dans sa newsletter, la Région précise que sur ce tronçon, « plusieurs opérations préparatoires sont ou devraient être engagées : dévoiements de réseaux eau potable, électricité, oléoduc, télécoms, sécurisation des entrées de bourg concernées par l’itinéraire de substitution, première phase du diagnostic archéologique ou encore démolitions ».
Une autre des priorités de la RN4 concerne la régénération de 45 km de chaussées, qui va de pair avec une amélioration des infrastructures, notamment afin de servir le monde économique : « Nous devons construire des aires d’autoroute équipées de bornes de recharge électrique. À date, il n’y a pas assez de toilettes, de douches, d’espaces de restauration… C’est un problème pour les transporteurs. » Sur les routes du Grand Est, les mois à venir s’annoncent décisifs. Thibaud Philipps en est conscient : « Plus les axes se dégradent, plus ils coûtent cher à réparer. »