Kaja Kallas a été Premier ministre d’Estonie. Son père aussi. On voit cela dans les républiques bananières. Elle est désormais vice-présidente de la Commission européenne. Son père l’a été lui aussi. Le cas est unique. Elle fait mieux qu’Ursula Albrecht, épouse von der Leyen, qui a été élue au Parlement de Basse-Saxe qu’a présidé son père Ernst Albrecht et qui est à la tête de la Commission européenne dont il pilotait la direction générale de la concurrence.
L’avantage des filles à papa, c’est qu’elles sont immunisées contre l’hubris. Quand Papa montre l’exemple, on ne se prend pas pour Dieu le Père. L’inconvénient, c’est qu’elles sont tentées de régler les comptes familiaux. Kaja Kallas est fille, petite-fille et arrière-petite-fille de déportées au temps des soviets. Elle n’est pas devenue avocate pour rien. Elle a hérité de leur colère. Elle est fière d’avoir été visée à son tour par un avis de recherche du Kremlin qui la poursuit pour « destruction et dégradation de monuments aux soldats soviétiques de la Seconde Guerre mondiale ».
Derrière les barreaux
À ses yeux, l’Union soviétique peut bien être redevenue la Russie, le goulag est son vrai nom. Elle redoute que les Estoniens soient de nouveau enfermés dans cette maison de fous, une maison hantée. Elle dit : « Si la Russie gagne, nous aurons des guerres plus importantes. » Comprenez : la guerre dans les pays baltes. Elle voit Vladimir Poutine comme un tueur du Guépéou. Son idée fixe : le mettre en cage. Sa place est derrière les barreaux, pas sur le tapis rouge d’Anchorage. Pour cette justicière, la paix aura toujours des allures de capitulation. Son projet de Tribunal spécial pour l’Ukraine interdit tout compromis.
Kaja Kallas n’écoute aucune mise en garde. Elle reste polarisée sur la Russie
En hissant l’été dernier Kaja Kallas au poste de haut représentant pour la politique de Sécurité et un autre Balte comme commissaire à la Défense, le Lituanien Kubilius, qui prévoit la guerre avec la Russie d’ici six à huit ans, les dirigeants européens ont choisi des croisés va-t-en-guerre et des pro-américains. Personne n’y voyait de contradiction. La colère aveugle vraiment. Ce sont des choix à contre-temps. Avec Donald Trump, « la guerre en Ukraine est stupide » et c’est la faute de Biden… Les Européens avaient joué les arbitres au temps des accords de Minsk. Donald Trump ne leur concède même pas un strapontin quand il rencontre Vladimir Poutine. Ils n’ont aucun moyen de conclure la guerre, ni la paix. Ils en sont réduits à accompagner Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale, prêts à partager son humiliation.
Kara hélas !
La colère est aveugle. Elle est sourde aussi. Kaja Kallas n’écoute aucune mise en garde. Elle reste polarisée sur la Russie. Elle se contente de banalités sur le Proche-Orient, la Méditerranée, l’immigration. Quand François-Xavier Bellamy lui parle de Boualem Sansal aux oubliettes à Alger, elle lui demande comment s’orthographie son nom. On a reproché à la diplomatie française de ne pas l’avoir mobilisée. Mais le comité de soutien à l’écrivain l’avait appelée à l’aide.
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« Kaja Kallas, Kara hélas ! » avait lâché un ancien commissaire à sa nomination, persuadé qu’il ne peut pas y avoir de victoire en Ukraine et que l’Europe va-t-en-guerre allait se retrouver piégée par la défection des Américains. À Bruxelles, Kara Kallas compte désormais pour du beurre. Après l’échec de la rencontre en Alaska, elle a caché sa joie : « La triste réalité, c’est que la Russie n’a aucune intention de mettre fin à cette guerre de sitôt. » Il y a un avantage à la colère. Elle protège de l’amertume.