Par
Frédéric Patard
Publié le
20 août 2025 à 6h56
Mais que font les Anglais ? Parti d’Alger, un avion Lodestar Lockheed est en train de traverser la Manche plein nord en direction de l’Angleterre. Il est prévu qu’une escadrille de la Royal Air Force vienne à sa rencontre pour l’escorter ensuite jusqu’en Normandie, plus précisément à Cherbourg.
Deux minutes
Mais les Anglais ne se montrent pas. En revanche, l’aiguille du dernier réservoir d’essence du Lodestar est, elle, bien visible. Et le mécano de l’avion l’observe avec inquiétude descendre inexorablement vers le zéro.
On ne peut plus attendre. Le pilote décide donc d’atterrir en Angleterre. Et on repartira pour Cherbourg plus tard, après avoir fait le plein d’essence. Mais dès qu’il sent l’avion piquer vers le sol, le passager à l’arrière de l’avion s’insurge et intime l’ordre au pilote de reprendre de l’altitude et de virer plein sud : hors de question d’attendre la R.A.F., hors de question d’atterrir en Angleterre, et cap vers Cherbourg. Le pilote obéit sans piper mot. Car son péremptoire passager n’est autre que le général de Gaulle.
Dans le brouillard, le pilote cherche à se repérer tandis que son mécano a les yeux rivés sur l’aiguille du réservoir. Une trouée dans le brouillard permet de voir qu’on est juste à côté de la côte française. De Gaulle pointe son doigt sur la carte et indique sans l’ombre d’un doute que la piste d’atterrissage qui vient d’apparaître sous les ailes de l’avion est celle du terrain de Maupertus. Le Lodestar se pose sur la piste. Il restait juste deux minutes d’essence dans le réservoir.
Au balcon de l’Hôtel de ville, devant la foule des Cherbourgeois. ©Conseil Régional de Basse-Normandie / National Archives USAIl faut libérer Paris !
Que vient faire le général de Gaulle à Cherbourg ? Ce n’est pas sa première visite dans la Normandie libérée puisqu’il a déjà passé une journée dans le Bessin le 14 juin 1944, histoire d’affirmer la présence française et de tester sa popularité. S’il vient dans le Cotentin, c’est d’abord parce que Cherbourg est la seule grande ville de Normandie à ne pas avoir souffert des combats et des bombardements. Ensuite, il a l’intention de rencontrer Eisenhower pour le persuader de libérer Paris au plus vite.
Trois jours auparavant, de Gaulle a pris connaissance d‘un rapport que Jacques Chaban-Delmas, son représentant en France pour toutes les affaires militaires, vient de lui adresser sur la situation à Paris. L’insurrection de la population parisienne est sur le point de commencer, alors que les Alliés sont encore en train de batailler contre les Allemands en Normandie, à 200 km de la capitale. Il faut donc absolument persuader les Alliés de foncer sur Paris pour trois raisons.
D’abord éviter que l’insurrection – et donc la population civile – se fasse écraser par la garnison parisienne allemande, bien mieux armée et aguerrie. Éviter ensuite que les Allemands détruisent la ville. Et enfin, couper l’herbe sous le pied à la résistance communiste, très engagée dans le mouvement insurrectionnel qui se prépare. Car de Gaulle sait bien que c’est d’ores et déjà l’après-guerre qui se joue dès à présent. S’il veut éviter que les communistes prennent le pouvoir en France une fois la paix revenue, il faut absolument persuader les Alliés de prendre Paris le plus vite possible.
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Trois bonnes raisons pour de Gaulle, qui ne sont pas forcément pertinentes pour l’état-major allié. Car pour Eisenhower, Paris n’est pas une priorité. La prise de la capitale retarderait en effet ses troupes dans leur progression vers l’Allemagne, en même temps que la nécessité d’approvisionner la population parisienne libérée représenterait un effort logistique important. La négociation s’annonce serrée…
Sur le perron de l’Hôtel de ville, avec à sa droite le sous-préfet de Cherbourg Lucien Leviandier et à sa gauche le maire de Cherbourg le docteur Paul Renault. Les enfants sur la gauche de la photo sont les soeurs Mesnage, Ginette (qui tourne la tête) et Janine (qui regarde l’objectif), choisies pour offrir à de Gaulle bouquet de fleurs et boîte de cigares. Au premier plan, les enfants Goualch (Alain et Jeanne) et Yvetot (Annie et Jack). ©Conseil Régional de Basse-Normandie / National Archives USAUne Marseillaise d’émotion et de fierté
A Maupertus, personne pour attendre de Gaulle. Le général et sa suite s’engouffrent dans une vieille Celtaquatre à gazogène et partent pour Cherbourg. Premier arrêt à la sous-préfecture, où la petite troupe prend son petit-déjeuner et fait un brin de toilette. Une seule lame de rasoir pour tout le monde : à de Gaulle la priorité, les autres se raseront par ordre d’ancienneté. Le général Koenig arrive pour donner des nouvelles de Paris, où l’insurrection vient de commencer : les nouvelles sont plutôt bonnes, plusieurs ministères étant d’ores et déjà aux mains des insurgés. Mais il ne faut pas perdre de temps.
De Gaulle réclame du papier pour écrire un discours, demande si on a des nouvelles d’Eisenhower. En début d’après-midi, il est à la Préfecture maritime où il rencontre les autorités locales et plaide pour le rassemblement :
« je sais avec quelle dignité les Cherbourgeois ont subi l’Occupation. Je connais leur état d’âme, c’est celui de toute la France qui demain sera libérée. Avec elle, la paix nous apportera de lourdes tâches. Nous les accomplirons tous ensemble, unis dans le même désir de refaire une France belle et forte, digne de ses enfants ».
A la sous-préfecture, de Gaulle salue (avec le sourire) deux jeunes garçons qui ont eu l’audace et la patience de « planquer » dans la maison voisine pour prendre une photo. Pari réussi. ©Collection privée
Puis de Gaulle sort dans la rue et se dirige vers la mairie. La foule est déjà là, dense, qui pousse de toutes ses forces pour voir et approcher l’homme qui le premier a osé dire non. Le service d’ordre a fort à faire pour contenir la masse, rejetant impitoyablement les bouquets lancés en direction de de Gaulle : l’un d’eux pourrait contenir une grenade dégoupillée…
Quand il apparaît au balcon de l’hôtel de ville, c’est une formidable ovation qui le salue, suivi par une Marseillaise d’émotion et de fierté. Puis le silence se fait. De Gaulle parle de martyre, de patrie, de grandeur française, de volonté, et conclût par un tonitruant,
« de toute notre âme, vive la France ! ».
Puis, il reprend la route pour rencontrer Eisenhower à son P.C. de Tournières (près du Molay-Littry) : c’est là que se joue le sort de Paris.
Le lendemain, de Gaulle est à Rennes. Le 22, les Américains cèdent et Leclerc reçoit l’ordre de foncer sur Paris. Le 24 au soir, les avant-gardes de la 2e D.B. entrent dans la capitale.
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