L’idée de lire dans les pensées est un concept qui a longtemps fasciné les esprits les plus rationnels de nos civilisations. Vers 375 av. J.-C., dans La République, Platon imaginait déjà une société idéale où les gardiens accédaient à une forme de vérité intérieure, par-delà les mots. À la fin du XVIIIᵉ siècle, le médecin Franz Joseph Gall proposa une lecture physiologique de l’esprit à travers la phrénologie, persuadé que les bosses du crâne reflétaient les aptitudes mentales. Une théorie qui fut rapidement discréditée, mais révélatrice d’un besoin irrépressible de visualiser ce qui n’était pas visible.

À partir des années 1950, des chercheurs comme Warren McCulloch ou John von Neumann commencèrent à comparer le cerveau humain à une machine. Peu à peu, l’idée de décrypter la pensée humaine quitta le domaine de la science-fiction et de la spéculation pour devenir un véritable objet d’étude scientifique.

Plus de 75 ans plus tard, ce vieux fantasme de l’humanité s’est concrétisé. À Stanford, une équipe de neuroscientifiques est parvenue à restituer sous forme de parole synthétique des mots simplement imaginés par des patients paralysés, grâce à une interface cerveau-ordinateur (comparable à celles fabriquées par l’entreprise Neuralink) entraînée à reconnaître les schémas d’activité neuronale associés à la parole intérieure. Leur étude a été publiée le 14 août dans la revue Cell et représente finalement le tout premier pas vers la restitution fidèle du langage… par la pensée seule.

Décoder le silence : une IA transforme la pensée en parole

Jusqu’à l’arrivée de ces travaux, les seules interfaces capables de redonner une voix aux personnes privées de la parole exploitaient les signaux moteurs émis par le cerveau lorsqu’un patient tentait physiquement de parler. Même sans qu’un son ne soit émis par ce dernier. Cela impliquait nécessairement de détecter les instructions envoyées aux muscles de la bouche, de la langue ou des cordes vocales via le cortex moteur.

Dans cette étude, quatre patients lourdement paralysés ; atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou victimes d’un AVC du tronc cérébral ; ont été capables de communiquer sans faire le moindre effort moteur. Comment ? Grâce à un réseau d’électrodes qu’on leur a implanté dans le cortex moteur, la région du cerveau qui contrôle la parole. Les implants utilisés sont issus d’un consortium baptisé BrainGate, un programme de recherche collaboratif réunissant plusieurs universités et hôpitaux américains spécialisés dans les interfaces cerveau-machine.

Ces électrodes ont permis de capter directement l’activité cérébrale liée à la parole intérieure, les mots formés mentalement par les quatre patients, sans qu’ils n’aient à bouger ou à tenter de prononcer quoi que ce soit.

Une fois les électrodes implantées, les chercheurs ont enregistré l’activité neuronale lorsque les participants tentaient de parler ou imaginaient simplement des mots. Ils ont ensuite entraîné une intelligence artificielle à repérer les schémas associés à chaque phonème (les plus petites unités sonores du langage, comme « ba » ou « ka »). En combinant ces éléments, le système a réussi à reconstruire des phrases entières.

Malgré l’intensité plus faible des signaux neuronaux générés par la parole intérieure par rapport à ceux produits lors d’une tentative de parole, les modèles d’IA ont réussi à identifier suffisamment de motifs cérébraux distincts pour reconstituer des phrases. Le système a ainsi atteint un taux de reconnaissance correct des mots allant jusqu’à 74 % en temps réel !

Une technologie puissante, mais intrusive par nature

Cette réussite sur quatre patients est porteuse d’espoir pour les millions de personnes dans le monde concernées par des maladies invalidantes les privant de parole, c’est indubitable. Elle s’accompagne néanmoins d’autres questions, qui versent tant du côté de l’éthique que de la philosophie. Que se passe-t-il si l’interface enregistre des pensées que l’utilisateur ne voulait pas formuler ? Peut-on réellement se projeter dans un monde futur dans lequel la frontière entre la pensée et la parole est dissolue ?

Lors des essais menés à Stanford, l’interface a parfois détecté des mots ou des chiffres que les participants n’avaient pas été explicitement invités à imaginer, comme lorsqu’ils comptaient mentalement des formes à l’écran. Des pensées « parasites » qui remontaient à la surface ; un phénomène que les chercheurs n’ont pas encore bien compris, mais qu’ils ont souhaité endiguer directement.

Pour prévenir toute lecture de pensées que l’utilisateur n’a pas l’intention d’exprimer, les chercheurs ont ainsi conçu un système de « cadenassage mental ». Le dispositif est bloqué et reste inactif tant que la personne n’a pas délibérément pensé à une phrase, utilisée comme une espèce de mot de passe.

Dans l’expérience, cette phrase était « chitty chitty bang bang ». Tant que celle-ci n’était pas mentalement prononcée, le système refusait de décoder les pensées internes. Cette solution s’est révélée efficace dans 98 % des cas, empêchant l’interface d’interpréter des pensées non intentionnelles.

L’objectif de ces chercheurs n’est heureusement pas de lire dans les pensées, mais bien de redonner une voix à ceux qui n’en ont plus. « Ce travail donne un véritable espoir que les interfaces cerveau-ordinateur puissent un jour restaurer une communication aussi fluide, naturelle et confortable qu’une conversation orale », estime Frank Willett, neuroscientifique et professeur adjoint de neurochirurgie à Stanford, co-auteur de l’étude. Cette réalité n’est certainement pas pour demain, nous devrons encore attendre bien des années avant que ce genre de technologie se démocratise, mais, cette avancée, bien que balbutiante, nous prouve déjà que c’est réalisable.

  • Des chercheurs de Stanford ont réussi à interpréter des mots imaginés par des personnes paralysées en analysant leur activité cérébrale.
  • L’expérience repose sur un implant dans le cerveau et une IA entraînée à identifier les sons mentaux formés intérieurement.
  • Un système de sécurité empêche toute lecture non souhaitée, mais soulève déjà des questions éthiques majeures.

📍 Pour ne manquer aucune actualité de Presse-citron, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.