Un feu éclate dans les Landes. Une rafale sèche. Un claquement de pin et tout part…
Des hectares en fumée, des milliers de tonnes de CO₂ rejetées, des maisons à évacuer. En haut, un vieil oiseau jaune fend l’air, largue son eau, puis retourne se ravitailler à des kilomètres. Trop lent. Trop vieux. Trop rare.
Depuis un demi-siècle, la France dépend d’un unique avion : le Canadair. Un modèle canadien, acheté à prix d’or, réparé avec des pièces qu’on attend parfois des mois.
Et si ce temps-là était en train de se refermer ?
Dans un hangar bordelais, la start-up HYNAERO promet de redonner à l’Europe ses ailes.
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Juillet 2026, département de l’Aude : une rafale de tramontane, une ligne haute tension, et en moins de 6 heures, plus de 4 000 hectares de garrigue partent en fumée entre Narbonne et Lézignan-Corbières.
Deux avions en panne, un troisième en maintenance à Marseille et au sol, les pompiers qui attendent bras levés vers un ciel désespérément vide.
On aurait pu intervenir plus vite, plus massivement, avec plus de rotation.
Avec un appareil comme le Fregate-F100, conçu pour écoper, larguer et repartir en quelques minutes, l’histoire aurait pu être différente.
La fin d’un monopole vieux de 50 ans
Le Canadair CL-415, c’est l’avion mythique des pompiers du ciel. Reconnaissable entre mille. Robuste, oui, mais limité. Conçu dans les années 1960, modernisé par touches, il est aujourd’hui dépassé par les exigences des feux de forêts géants.
Ces dernières années, les incendies se sont faits plus nombreux, plus longs, plus violents. En Californie. En Grèce. En Gironde. En 2022, le massif des Landes avait déjà brûlé pendant des semaines. Le Canadair a fait ce qu’il a pu.
Le hic, c’est qu’il n’est plus fabriqué et qu’il coûte désormais jusqu’à 65 millions d’euros l’unité, avec des délais de livraison à rallonge.
HYNAERO arrive à point nommé. Leur promesse : un hydravion de nouvelle génération, conçu en France, pour les feux d’aujourd’hui et de demain.
Un projet né à Bordeaux, avec une ambition européenne
Dans un bureau près de Mérignac, une poignée d’ingénieurs et d’anciens de l’aéronautique ont mis sur la table une idée simple : relancer une filière européenne de bombardiers d’eau.
Le projet s’appelle FREGATE-F100. Un nom qui sonne comme une mission militaire. Et quelque part, c’en est une.
Son cahier des charges ?
- Être 100 % amphibie, capable d’écoper sur n’importe quel plan d’eau comme les Canadair.
- Pouvoir emporter 10 tonnes d’eau, soit le double d’un Dash 8 et bien plus qu’un CL-415.
- Voler à près de 465 km/h, pour une intervention rapide dès les premières flammes.
- Tenir plus de 4 heures en vol, avec 2 500 kilomètres de distance franchissable.
Le tout, pensé pour une maintenance rapide, avec un jumeau numérique embarqué pour la prédiction des pannes.
Le Fregate-F100 pourra tenir plus de 4 heures en vol, avec 2 500 kilomètres de distance franchissable.
Un cockpit pensé comme une cabine de chasse
Dans l’habitacle, on ne plaisante pas. Commande de vol électriques, viseur tête haute, cockpit pensé avec les pilotes et pour eux.
L’objectif est clair : attaquer le feu vite, fort, et en sécurité.
Contrairement aux avions qui nécessitent un ravitaillement au sol, les appareils écopeurs comme le Fregate-F100 peuvent enchaîner les rotations toutes les 10 minutes.
Et quand un feu s’emballe, chaque minute compte.
Un avion pour protéger… le climat
On l’oublie souvent : les feux de forêts représentent jusqu’à 20 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre.
Lorsqu’un massif brûle, il relâche en quelques jours le carbone capté pendant des décennies. Et pendant dix ans, la zone détruite ne jouera plus son rôle de puits de carbone.
Prévenir les incendies, c’est freiner le réchauffement climatique.
Et pour ça, il faut des outils capables d’agir vite, en masse, partout. Le Fregate-F100 est conçu pour voler loin, intervenir dans des zones peu accessibles, et remettre la main sur un savoir-faire qui avait quitté notre continent.
Une réindustrialisation à la française
Le projet n’est pas qu’un avion. C’est une filière.
HYNAERO revendique une production 100 % française, en Nouvelle-Aquitaine, avec le soutien de la région, de l’État et de l’Europe.
Objectif affiché :
- Terminer la conception d’ici l’été 2026,
- Lancer l’assemblage,
- Et faire décoller le premier prototype en 2031.
C’est un calendrier ambitieux, mais pas hors de portée. Plusieurs grands bureaux d’études aéronautiques ont déjà rejoint le projet. Et les discussions sont en cours avec des opérateurs privés et publics.
En clair : si le financement suit, le Fregate-F100 pourrait bien être le premier bombardier d’eau 100 % européen depuis la Seconde Guerre mondiale.
Une chaine de production à Istres
Si l’incubateur du nouveau géant des airs était à Bordeaux, c’est finalement Istres, dans les Bouches-du-Rhône, qui accueillera la chaîne d’assemblage du Fregate-F100. L’annonce a été faite lors du Salon du Bourget en juin 2025, après une compétition entre Pau, Nîmes et Istres. La Région Sud et l’État ont accompagné ce choix stratégique en injectant 7 millions d’euros au capital de la start-up. Une implantation logique, au plus près d’une base aérienne déjà spécialisée dans les essais en vol et au cœur d’un écosystème aéronautique de tout premier plan.
Tableau de bord du Fregate-F100 :
Le Canadair a marqué son époque. Le Fregate-F100 veut marquer la suivante.
Dans un monde plus chaud, plus sec, plus instable, on ne peut plus se permettre d’attendre que le feu arrive au bord de la route.
Et si le prochain rempart aérien contre l’effondrement climatique venait… de Bordeaux ?