En trois ans et demi, les tribunaux militaires russes ont rendu “au moins 18 341 jugements” pour des faits de désertion ou de départ non autorisé, impliquant 18 470 soldats – certains jugements peuvent concerner un soldat ou plus. Mais ce chiffre, avancé par les auteurs du centre analytique dirigé par Kirill Parubets, un militant russe antiguerre et ingénieur informatique, est loin de refléter l’ampleur du phénomène, révèle le média russe en exil The Insider.

L’analyse s’appuie sur l’examen de données publiées par plus d’une centaine de tribunaux de garnison. Il s’agit des seules statistiques encore accessibles depuis que la Cour suprême a cessé, en février 2023, de rendre publics les chiffres détaillés concernant les infractions liées au service militaire, invoquant des consignes du ministère de la Défense et du FSB, le service de renseignements intérieur russe, pour en préserver la “confidentialité”.

Selon les auteurs, en tenant compte des données non accessibles des juridictions installées dans les territoires sous contrôle russe en Ukraine, le nombre réel de condamnés pourrait dépasser les 20 000.

Et la tendance explose d’année en année. Entre 2022 et 2024, le nombre de condamnations a été multiplié par dix, passant de 884 à plus de 8 500. Pour les sept premiers mois de 2025, 4 679 jugements ont déjà été recensés. Un ralentissement apparent qui pourrait s’expliquer par le transfert croissant des procès vers les tribunaux situés dans les zones occupées dont les décisions ne sont pas publiées.

Du tribunal aux tranchées

La majorité des condamnations, environ “17 500, concerne l’abandon de poste sans autorisation, tandis qu’un millier de personnes ont été poursuivies pour désertion à proprement parler, et 94 pour avoir simulé une maladie afin d’échapper au front”. Ce choix juridique n’est pas anodin, notent les analystes, car l’article sur l’abandon de poste “prévoit une peine avec sursis comme alternative à la prison ferme”, ce qui facilite le retour des condamnés sur le front et les exclut des statistiques de “pertes irrécupérables”, contrairement à la désertion.

En croisant ces données avec des fichiers de soldats recherchés et des fuites internes, les auteurs estiment que seul un cas sur trois aboutit réellement à un procès. “Le nombre réel de déserteurs pourrait donc atteindre 60 000”, soit près de 10 % des effectifs russes déployés sur le front.

Derrière l’opacité des chiffres officiels, les autorités russes cherchent surtout à minimiser l’ampleur du phénomène, selon les analystes. Cet état de fait remet notamment en cause la déclaration de Vladimir Poutine, faite en juillet 2025, selon laquelle “la Russie forme un front populaire uni et solidaire” face à la guerre.